jeudi 19 avril 2012

Episode XVI : On s’dit tu ?


Voici une petite réflexion qui fera quelque peu écho à l’épisode V, dans lequel je faisais part de mon malaise de trentenaire vis-à-vis des autres trentenaires. J’y décrivais notamment cet état d’embarras dans lequel il m’arrivait de m’engluer lorsque l’adulescente que je suis me retrouve confrontée à des trentenaires qui s’assument, telle une Moldue qui débarquerait à Poudlard sans avoir lu au préalable les bouquins de J.K. Rowling, et qui s’y taperait la te-hon pour y avoir emmené un yorkshire à la place d’un harfang. Je parle donc bien des trentenaires qui ont parfaitement réussi leur mutation, là où une fille comme moi est plutôt du genre à s’emmêler les pinceaux façon Seth Brundle* (oui, encore lui !), soit le genre de fille qui elle aussi ne vérifierait pas qu’il n’y ait pas de mouche dans sa cabine de téléportation avant d’enclencher le processus, ou encore, le genre de fille qui cache une peau de lézard et des pupilles fendues sous son masque d’être humain. Bref, une créature hybride, mutante qui ne trouve pas sa place parmi les siens. Mais trève d’apitoiement, je me suis assez épanchée là-dessus dans les premiers épisodes et, une fois de plus, tout ça ne nous rendra pas les années 90 !
En fait, si je souhaite revenir sur cet épisode, c’est que je me rends compte que j’ai omis d’y aborder un point pourtant essentiel de la relation trentenaire-trentenaire - ou même trentenaire-non-trentenaire -, à savoir la question du vouvoiement. Pour ce faire, il est nécessaire d’opérer un petit flash-back. Nous sommes dans les années 80. Vous avez une dizaine d’années. Votre maman vous a toujours dit qu’il était était impoli de dire « tu » à une grande personne. A moins d’être semi-néérlandophone, vous n’avez alors aucun mal à faire le discernement entre les personnes à tutoyer et celles à vouvoyer. Vous avez une chek list très précise reprenant les critères indiquant l’appartenance de la personne à la seconde catégorie, parmi lesquels:

·      La personne a du poil au menton.
·      La personne sent le parfum (ou la transe).
·      La personne a une pomme d’Adam.
·      La personne vous parle en contre-plongée.
·      La personne a du blanc au bout de ses ongles vernis.
·      La personne a les cheveux blancs.
·      La personne conduit une voiture.
·      La personne vous fait des poutoux dans l’oreille.
·      La personne a une carte qui lui permet de recevoir des sous.
·      La personne vous parle comme si vous étiez un demeuré.
·      La personne ne vous écoute pas.
·      Etc, etc.

Mais voilà que les années passent, et plus elles passent, plus nombreux sont les critères que vous aussi, vous remplissez, et plus nombreux sont également les gens qui les remplissent autour de vous. Ces critères ne sont plus gage de l’ancienneté de la personne par rapport à vous. Et puis, à une époque où baby-poufs et femmes-cougars se livrent un combat sans merci, où les teenageuses veulent devenir des femmes avant que leur horloge biologique leur en ait même donné le signal (mais non je ne suis pas une vieille ring’ !) et où les MILF’s** ont la cote, comment voulez-vous qu’on s’y retrouve ? Dans ce joyeux bordel où le slogan « L’âge ? C’est dans la tête ! Gnihinhin » est sur toutes les lèvres siliconées, comment savoir qui vouvoyer et qui tutoyer ? Et, pour en revenir à la relation trentenaire-trentenaire, le plus embarrassant n'est-il pas, finalement, lorsque l'on est sûr que l’âge de la personne est légèrement inférieur ou égal au nôtre? Ainsi, sous prétexte qu’elle est devenue dermato, vous n’osez plus tutoyer Mélissa. Ouuiii, le petite Mélissa, celle qui a connu ses heures de gloire les nombreuses fois où sa mère oubliait de lui mettre une culotte pour aller à l’école, et avec qui vous passiez des heures à jouer aux Petits Poneys. Aujourd’hui, vous lui donnez du « vous », et du « Docteur », alors que vous savez pertinemment que vous avez le même âge !! Et quel malaise lorsque, dans vos relations de boulot, vous vous faites violence pour rédiger un courrier hyper officiel, à grand renfort de formules de politesse pompeuses et hypocrites, alors que votre destinataire et vous-mêmes avez déjà commenté une photo identique sur Facebook, pour la simple et bonne raison qu’elle avait été prise lors d’une fête où vous étiez toutes les deux, aussi bourrées l’une que l’autre. Quel inconfort, encore, que de vouvoyer l’instit de votre fille de 10 ans votre cadette, diffusant encore des relents de vômi de ses déboires estudiantins, ou le chef baladin de votre fiston, sous prétexte qu’il est majeur. C’était déjà la déprime que ceux-là vous vouvoient, mais que vous, vous vous deviez de leur rendre la pareille....quelle gifle! Et oui! Car cela signifie simplement que vous êtes devenu tellement vieux que même ceux que vous considérez comme jeunes sont vieux! Quel moment pénible enfin que celui dont on ne voit pas la fin, alors que l’on converse avec un inconnu de notre âge, et que les « vous » nous écorchent les cordes vocales à chaque début de phrase, et qu’on attend en vain le moment où l’autre nous demandera, avec un soupçon de gêne : « Dites, on s’tutoierait pas ? » Mais, le pire, finalement, n’est-ce pas quand c’est de la bouche d’une personne du troisième âge que provient ce type de requête ? C’est là que, définitivement, je regrette de ne pas être née dans un pays anglo-saxon…..

* David Cronenberg, La Mouche, 1986
* Mother-I'd-Like-To-Fuck

mardi 10 avril 2012

Episode XV : Maman geek

« Putain Perrine, mais qu’est-ce tu fous bordel ?!», soit la réaction hystérico-distinguée de Monsieur Hulot tout à l’heure en franchissant la porte de la cuisine, en même temps qu’un nuage de fumée opaque, avant de m’arracher le casque Sennheiser que je portais sur les oreilles - casque démesuré n’ayant rien à envier aux cache-oreilles en poils synthétiques que j’affectionnais particulièrement dans les années 80: isolant, très isolant…. – et d’aspirer de mes trompes d’Eustache les dernières notes de Walk des Foo Fighters que je vociférais en pianotant sur mon clavier. « Oh chiiiittteeee!! Non, non, noooon !! ». Et bien si : dans ce souci d’urgence qui m’avait poussée -non ! - obligée, entre la mise au lit des Vedettes et la mise au four du gratin de légumes, à m’intéresser sans attendre une seconde de plus aux invitations Klout qui encombraient ma page Facebook depuis 5 semaines, j’avais laissé cramer l’unique plat de la semaine que je comptais cuisiner.
- « Et t’entends pas qu’y en a une des deux qui braille ??  T’es tellement scotchée à ton PC que t’oublies tout ce qu’il y a autour !! »
 - « Alors, d’abord, c’est pas un PC, c’est un MAC !! Et excuse-moi de me détendre un peu après 8h de boulot, et puis si je mets un casque, c’est pour pas réveiller les filles, pas pour ne pas les entendre !! Et ton gratin de légumes, tu peux te le….euh, le manger : ça suffira…»

Non mais alors quoi ? Parce qu’on est mère de famille, on devrait se voir interdire tout accès à une connexion internet ou à un objet composé d’un écran et d’un clavier ? De toute manière, je pense que pour toute une partie de la population des jeunes parents, ce déni de technologie serait vain. Postulat : pas besoin d’avoir été fringué dans les années 90 comme la bande à Screech dans Sauvés par le gong ! pour pouvoir affirmer avoir un lourd passé de nerd. Qui a délaissé ses Tremplin et ses J’aime Lire pour se tourner vers le Commodore 64 de papa, avant de demander sa propre console Atari, de la baquer ensuite au profit de Mario, Luigi, Alex Kidd ou Sonic ; qui a rêvé pendant des nuits de petits blocs s’imbriquant les uns dans les autres au son d’un synthé islamisant horripilant (et qui est, dans mon cas, par ailleurs incapable d’en faire de même aujourd’hui avec les Tupperware qui encombrent les tiroirs de la cuisine), leur préférant finalement la PlayStation ou la XBox, avant de s’ouvrir sur le monde fin des années 90 pour muter progressivement en gamer, ne peut vivre sereinement loin d’un écran. Certes, certains hypocrites ou inconscients ont fait vœu d’abstinence, pensant que manettes et autres jeux vidéo ne faisaient pas partie de la panoplie du bon père de famille, en tout cas pas avant que le gamin ne soit en âge de jouer à la Wii, seule console qui sera tolérée dans le foyer (v. Episode XIII), avant de redevenir des hérétiques, un jour que Satan avait mis sur leur route l’IPhone d’un collègue et ses nombreuses applications tentatrices aux drôles de noms d’oiseaux. D’autres ont refoulé cette pulsion, et ne comprennent pas pourquoi ils ont continuellement besoin de leur laptop, ni pourquoi ils attrapent des sueurs froides dès qu’ils tombent sur La Dame de Pique ou Le Solitaire, au détour d’une pérégrination sur l’explorateur Windows. Et encore, là, je ne parle que des jeux, je ne m’attarderai pas sur les écrans de cinéma et de télévision, ni sur les BD ou autres médias old school agrémentant l’univers du geek nineties.

Bon alors, ok, il m’est arrivé d’allaiter, de donner le bain, ou de faire la cuisine la main sur le clavier (occupée que je l’étais par exemple à retoucher des photos avant de les partager à la grande communauté indifférente des internautes), ok, il m’est arrivé de consulter mes mails en conduisant, ma messagerie pourtant à peine vidée et refermée au boulot, (dangereux vous pensez ? Pas plus que de rouler une clop au volant….. Mais non, ça, ça ne m’est jamais arrivé, enfin….), ok, je consulte mon profil Facebook 48 fois par jour et ok, quand je pars en vacances, j’emporte ordi, appareil photo, caméra, disque dur externe, clef usb, et si j’oublie de regarder si il y a micro-ondes ou aspirateur, je n’omets par contre jamais de m’assurer que le lieu ait du réseau WiFi. Mais me voir donner des leçons de morale par cet homme qui 10 ans auparavant avait installé internet dans mon kot précaire, à grand renfort de câbles qui auraient fait perdre le nord à Ariane, et en tout cas à mes cokotteurs qui n’avaient rien demandé - et dont l’un d’eux a fini avec une fracture du tibia après s’être pris le pied dans une des rallonges constituant cette toile diabolique (tout un symbole…) -, par celui-là même qui aboyait à un interlocuteur invisible des « Fire in the Hall !!» et des « Go !Go !Go !!! » et des « Derrière toi !! Derrière-toi !!!!!! » à tout va en pleine semaine de blocus ou alors que je tentais de rédiger la conclusion de mon mémoire sur mon vieux Compaq édition 1996 sur le bureau d’à côté, par celui-là même qui participait à des Lan avec d’autres geeks, qui en revenait avec un vieux bout de pizza collé sur la joue, et qui s’endormait régulièrement la tête dans un paquet de Dorito’s, celui-là enfin qui jouait encore à Counter Strike dans notre chambre alors que notre nouveau-né tentait en vain de faire ses premières nuits, là….je dis non. Même si le résidu de nerd qui sommeille en lui m’a quand même installé l’AirPort et l’AppleTV, et que c’est aussi grâce à lui si je peux blogguer peinard avec une connexion digne de ce nom…..