dimanche 3 novembre 2013

Episode XXIV : How I met your mother


1985. Le jeune Nicolas s’enquiert auprès de son père de la rencontre de celui-ci avec sa mère. Son père se pose un instant à ses côtés, sur le grand canapé de velours côtelé.

« Et bien….. Je dois dire qu’il m’a fallu faire preuve de patience. De beaucoup de patience….. Ta mère et moi nous sommes rencontrés pour la première fois sur les bancs de l’école primaire. Enfin, façon de parler. Car à l’époque, l’enseignement n’était pas mixte. Le seul jour où nous, les garçons, avions le droit de croiser le regard des filles et se laisser envoûter par leurs petites jupes plissées, c’était celui de la rentrée des classes…… »

2035. Le jeune Arthur demande à son paternel comment il a rencontré sa mère. Son père ne répond pas tout de suite. Arthur lui repose la question, appuyant cette fois sa requête d’une légère tape sur l’épaule de l'interlocuteur absent avec qui il tente d'entrer en communication. Son père décolle alors ses rétines de l’écran de sa tablette, et rejoint son fils sur le canapé Ektorp du salon.

« Et ben….. Tu sais, avec ta mère ça s’est passé assez rapidement. Il faut dire que ça faisait des années que j’étais célibataire, et ça me convenait très bien comme ça. Je m’en tapais des meufs à l’époque, j’en profitais bien, et je n’avais aucune envie que ça change. Jusqu'au jour de mes 30 ans, où je suis foutu à la porte de ma chambre par tes grands-parents. Comme vivre seul me fout les boules, la première chose que je fais est de m'inscrire sur Meetic, un site de rencontre sur Internet en vogue dans les années 2000. Cinq minutes plus tard, ma messagerie clignote. Dans ma boîte, le message d’une bonne femme qui semble plus qu’intéressée par mon patrimoine….. » ………

…….. « Ce jour-là, nos regards se croisent l’espace d’un très court instant. Nous nous trouvions à même hauteur, dans les rangs respectifs que nous formions pour entrer dans la grande salle où devait se donner le discours de bienvenue du directeur. Elle côté filles, moi côté garçons. Du haut de mes 12 ans, je tombe littéralement sous le charme de son sourire mutin. Puis son rang avance, et elle avec. Je ne la reverrai plus pendant des mois. »…….

« La fille, Brenda, 85-70-90, lifecoach de profession, passionnée par le VTT, le scrapbooking et les vidéos de chat ; possédant un bichon maltais et deux perruches ; intolérante au lactose et souffrant de prurit par fortes chaleurs, me donnait rendez-vous le soir même au resto. A l’ancienne, mais pourquoi pas. J’espérais que ce romantisme légèrement vintage dissimulait une braise qui en demandait qu’à s’embraser à mon contact. Je peux te dire que j’ai été vite refroidi. La photo Instagram qu’elle avait utilisée pour son profil lui donnait dix ans de moins. Et quand tu sais que ce soir-là, il faisait dans les 30 degrés, je te laisse imaginer le triste tableau qui m’attendait à une table de La Sœur du Patron »……

« Tous les jours pourtant, alors que je longeais le mur de la cour de l’école des filles pour rejoindre celle des garçons, je la devinais. Je croyais distinguer son rire parmi le gloussement généralisé qui s’élevait derrière les murailles de cette forteresse. Je jubilais à la pensée que je respirais le même air qu’elle, et à l'idée que quelques briques seulement nous séparaient l’un de l’autre. »

« En plus, c’est pas comme si cette cruche avait quelque chose à me raconter, en tout cas que je ne savais déjà. J’ai passé ma soirée à zyeuter mon IPhone, jouant discrètement à Candy Crush sous la table. A un moment, elle reçoit un appel, et se casse aux chiottes. Ou alors c’était une excuse bidon pour aller éponger sa peau suintante. C’est à ce moment là que je reçois une alerte Facebook. Un reminder « événement » qui me rappelle que la fête chez Colin commence dans 20 minutes. »

« Puis le temps des grandes vacances arriva. Je crus tressaillir ce jour heureux où je la croisai dans le parc communal. Elle était là, sur un banc, à lire un roman d’Alexandre Dumas. Elle avait troqué son uniforme strict contre une mini jupe à la limite de l’affriolant. Cinq minutes plus tard, sa mère la rejoignit, et l’emmena hors de mon champ de vision. »

" J’essaie de fuir à l’anglaise mais Brenda reéapparaît par l’embrasure de la porte des toilettes, repoudrée, rebrushée, voire remanucurée. La carte des desserts étant fort heureusement peu compatible avec son intolérance au lactose, notre rancart se termine là. Je la plante sur le trottoir. Un œil sur Facebook en rejoignant ma bagnole : cette dinde m’a friendrequesté il y a dix minutes. Autant dire : sur le pot. Je rejette sa demande d'amitié. »

« J’appris quelques semaines plus tard, de la bouche d’une commère qui avait établi ses quartiers sous le grand châtaignier du parc, qu’elle avait déménagé dans le village voisin. Autant dire : au bout du monde. La rombière m’apprit également que l’objet de mon désir rejoindrait à la rentrée un internat pour jeunes filles, à une trentaine de kilomètres d’ici. Comment allais-je faire pour la recroiser ? De quelles astuces allais-je devoir user pour apercevoir à nouveau ses délicieuses gambettes ? Et quels exploits physiques allais-je devoir accomplir pour parcourir la distance qui me séparait toujours plus d’elle ? »

« Je débarque chez Colin. La soirée est déjà bien entamée, les gens aussi. So swag. Je retrouve des potes, on cause au bar en s’enfilant des grandes pils. On mate un peu, mais y a pas grand chose de propre dans le coin. Tout juste une ou deux hipstafashionistas qui font des selfies avec leurs IPhone. Quand tout à coup, je l’aperçois !! »

« Je finis par trouver dans le botin l’adresse de son internat. Je lui envoie une carte postale de notre village. J’ai peur de passer pour un ringard ».

« Elle est là, semblable à toutes les autres, et pourtant différente. Peut-être parce qu’elle me regarde. Peut-être parce qu’on porte la même IceWatch orange. Je m’avance vers elle, je vais la pécho, c’est sûr. Je me faufile à travers la foule, bravant la sueur d’aisselles inconnues que je dois pourtant effleurer pour tenter d’atteindre l’objet du désir….. que je vois disparaître dans un taxi. Comment faire maintenant ? Merde !! »

« Elle me répond. Elle est touchée par mon geste. Elle se demandait quand j’allais enfin lui déclarer ma flamme. Notre correspondance secrète durera pendant l’entièreté de nos études secondaires. A une de ses missives, elle joindra une photo. Son portrait ne quittera jamais mon portefeuille. Je la regardais à chaque coup de blues, me languissant de ses tâches de rousseur auxquelles le cliché monochrome ne faisait pas honneur. »

«  N’écoutant que mon courage, je me connecte sur Facebook. Je suis taggué sur une photo de la soirée de Colin. Bord cadre, un avant-bras arborant une IceWatch orange est également taggué. Je la tiens !! »

« Le premier jour des grandes vacances qui suivent la fin de notre rhéto, je reçois une carte postale. Elle m’invite chez elle le weekend prochain, pour rencontrer ses parents. Pendant une semaine, je ne dormirai pas. »

« Un tour sur sa page Facebook, Foursquare  m’indique qu’elle se trouve dans le nouveau bar qui vient d’ouvrir dans le centre ville. Je saute dans ma caisse, j’encode l’adresse dans le GPS, je débarque dans le café, où je l’aperçois au bar avec deux de ses copines.»

« La rencontre avec ses parents se passe pour le mieux. Même s'ils nous collent aux baskets toute la journée, et toutes celles qui suivront ce premier rendez-vous. »

« Je la rejoins. Je n’y vais pas par quatre chemins, et lui dis texto qu’elle m’intéresse. Elle le prend bien. On boit quelques coups, on s’détend. Elle me dit qu’elle adore la chanson qui passe. WTF? Jamais entendu cette daube. Je shazamise en schmet le morceau. Quand je lui sors le nom du titre, elle me sort le grand jeu. Pour ne pas dire : elle me roule une pelle. Bien ouèj non ? »

« Au fil de nos rencontres sous haute surveillance, on apprend à se connaître, on s’amuse de tous nos points communs. »

« Comme il ne faut pas crier victoire au premier patin, j’use de toutes mes ficelles de vieux briscard de la love. Histoire d'être sûr de la ramener dans mon lit. Prétextant un besoin urgent de pisser, je me replonge dans les méandres de sa page Facebook. Un tour sur les mentions "J’aime", et je nous découvre des atomes crochus. Enfin un: on aime tous les deux Stromae. Mais cinq minutes me suffiront à me convaincre que je partage tous ses autres intérêts. »

« Au bout de deux ans, je dus bien me rendre à l’évidence. Je n’arriverais jamais à conclure avec ta mère si je n’en demande pas l’autorisation à son père. Vêtu de mon plus beau costume, après avoir parcouru la campagne à vélo, je frappe à la porte de la maison familiale pour aller demander sa main au pater familias. »

« C’est notre passion commune pour la littérature américaine qui finit donc de convaincre ta mère de passer la nuit avec moi. Le lendemain, elle officialisa notre relation sur les réseaux sociaux. 35 secondes plus tard, son père lika l’info, suivi de sa mère, 12 secondes après. »

« Nous nous mariâmes l’année suivante et ton frère vint au monde neuf mois après notre union. Ta sœur suivit deux ans après et tu pointas le bout de ton nez l’année suivante. Voilà fiston, tu sais tout. »

« A 27 ans, ta mère était encore étudiante. Elle s’apprêtait à partir en Erasmus au Mexique pour un an. On entretint une relation par Skype jusqu'à son retour, où l'on décida qu’il était temps de s’engager officiellement. On prit un appart ensemble. Malgré tout, on resta assez indépendant. On avait envie de profiter avant d’avoir des enfants. Tu es né huit ans après notre emménagement. Puis on a fait ton petit frère sur le tard. Voilà fiston, tu sais tout. »