dimanche 27 janvier 2013

Episode XXVI Bis : Les Titres Service, L'intégrale


LUNDI SOIR

Ca y est. Monsieur Hulot a décidé de franchir le cap. Il me l’a annoncé tout-de-go, en rentrant du boulot. Non sans avoir eu le temps de se viander en posant le pied sur la locomotive Playschool de la petite Oompa Loompa, avant d’atterrir tête la première dans une manne à linge débordant de slibards et autres fringues non-repassées. Essayant de retrouver son sang-froid en même temps que son Blackberry qui s’était fait la malle lors du vol plané le moins resplendissant de l’histoire de la figure aérienne, il me dit : « Bon, Perrine, c’est plus possible. On bosse tous les deux comme des malades, au Diable la conscience judéochrétienne, prenons une femme de ménage !! C’est ça où tu n’auras plus jamais à repasser mes chemises, vu que je ferai mes valises. T’étais djà pas la reine du rangement quand t’étais au chômage et sans enfant, mais maintenant notre rez-de-chaussée frôle la zone sinistrée. S’il te plaît, pense à la sécurité de ta famille et téléphone demain aux « Petites fées du logis ». » Sur le coup, j’ai trouvé ces réclamations légèrement gonflées, de la part d’un homme qui chaque matin fait de la spéléologie au saut du lit pour retrouver le réveil hurleur  sous la pile de chaussettes qu’il met un point d’honneur à élever un peu plus chaque soir, à l’heure de se déshabiller. Mais bon, force m’était de constater qu’il n’avait pas tort. L’autre soir encore, on était passé à deux doigts de la catastrophe après que notre jeune Padawan ait transformé notre four en banc solaire à Barbies. Après y avoir laissé la majeure partie de sa célèbre chevelure, Barbie Raiponce a fait place à Barbie Desireless, et ma quiche au saumon qui avait déjà de fortes chances d’être immangeable a viré carrément toxique.

MARDI MATIN

Les fesses à peine posées sur ma chaise de bureau, je compose le numéro des « Petites Fées du Logis » - société dont le nom n’a rien à envier à ceux des DVD préférés de mes filles, labellisés Colruyt Entertainment - sous le regard torve de Lou-Anne. Elle qui ignore encore qu’Hoover n’est pas que l’ancien nom d’un groupe belge et que Black & Decker n’est pas une marque de Vodka, n’attendit pas que je me sois entretenue avec la fée en chef pour ricaner, avant de me lancer : « Alors, on s’embourgeoooiiisssee ? » C’est là que je perdis totalement mon sang-froid. Insinuer que j’en touche pas une, moi, qui me tape une dermatite de la ménagère permanente à force de tremper mes menottes dans des bains de Dreft (mensonge : on ne lave pas de quoi dresser une table de 50 personnes avec une goutte de Dreft, et bien que j’ai la place d’installer à tout casser 8 convives dans ma salle à manger, j’utilise le double du célèbre savon vaisselle à chaque repas festif!!), moi qui pourrais me faire tatouer sur le torse la carte de mes canalisations - si toutefois cette idée n’était pas totalement grotesque, dénuée de sens et tue-l’amour – moi qui ai les genoux cagneux à force de me pencher pour faire la poussière sous mon Ektorp….. Mais une voix à l’accent qui fleure davantage la tarte aux boudins de Jodoigne que le savon de Marseille m’interpelle à l’autre bout du cornet, et je dois postposer mon projet de lui mettre mon poing tout sale dans sa face brushée : « Les Petites Fées du Logis - une maison étincelante en un coup de baguette magique, bonjoouuurrrrr !! » Une explication de mon cas désespéré et une géolocalisation de ma maison plus tard : « Mais oui Madame, pas de problème. Nous pouvons vous envoyer une de nos petites fées ce vendredi à 7h. » « - 7h ? Du soir ? » « -7h du matin, Madame. La propreté appartient à ceux qui se lèvent tôt. » « -Ah. » « -Bien sûr, vous n’oublierez pas de prévoir pour Jessica…. » « -Jessica ? » « -Votre petite fée… » « -Evidemment !! » « …..-Vous n’oublierez pas de prévoir pour Jessica les produits d’entretien de base. » « -Ah. C’est-à-dire ? » « Et bien tous les produits de la bonne ménagère. Ne vous tracassez pas, vous avez certainement tout ce qu’il faut dans votre buanderie, mais vérifiez quand même ! Aurevoir Madame. » « -Mais !!.....Mais non !! Je n’ai même pas de buanderiiieeeee…… !!!!! » « Tûûûûût, tûûûûût, tûûûûut…… ». Trop tard.

Le soir, à peine la porte de la maison franchie et les filles plongées dans un bain - histoire qu’il y ait au moins quelque chose de propre dans la maison au retour de Monsieur Hulot -, je plonge sous l’évier, munie de la lampe de poche de mon smartphone, pour tenter d’y faire l’inventaire de notre équipement anti-crasse. Résultat : une bouteille à moitié vide de Cif, arborant encore le design de la décennie passée ; une vieille éponge fossilisée dont on ne sait plus trop distinguer la couleur de base (ce qui n’a que peu d’importance quand on sait que ça fait au moins deux ans que j’ai oublié le code couleur qu’on avait établi avec Monsieur Hulot, ce que je me garde toujours bien de lui avouer quand bien même il serait en train de récurer les chiottes avec l’une de ces éponges….) et une bouteille d’Ecover qui sert à nettoyer l’ensemble de la maison. Bon, ça va pô l’faire ça, Perrine….. Alors, que fait-on, en 2013, quand on est face à un problème ? Non, on ne fait pas appel à la carte !!…..On va chercher la réponse sur internet. Plus précisément, sur des forums. Féminins, en l’occurrence. Dans la catégorie Loisirs ( ?) d’une de ces plateformes, des ménagères se sont visiblement éclatées à réaliser leur top 10 des produits d’entretien. Mon cœur fait semblant de balancer entre Manouchka_Ola23 qui concocte tous ses savons bio elle-même (j’ai déjà pas le temps de couper des oignons moi-même, je suis obligée de les acheter tranchés à 2,50 Euros le petit pot en plastique non-recyclable….) et Gigi58 qui nous a dressé une liste assez complète du must have de la femme d’aujourd’hui. Je prends note de celle-ci : le produit d'entretien pour les vitres à l’alcool de plantes d’Ajax ; Le nettoyant multi-usages de Monsieur Propre à la fraîcheur de Fébrèze, Le PowerCream de Cif pour cuisine, avec ActiveShield  (kesako ?). Pour le parquet, du Pledge à la cire d’abeille…… Au moment où je commence à attraper de légères sueurs froides à la lecture de tous ces noms scientificomarketing, Monsieur Hulot fait irruption dans la cuisine, les bras chargés de sacs de course. Et dégaine fièrement le dernier Bref Solutions à l’alcool, pour cuisine, suivi de toute une armada en « Dé » : dégraissant, détachant, détergent, détartrant, décalcarisant. Rien de « décomplexant », hélas. Un poil énervant parfois, ce sens de la précaution, mais faut bien avouer qu’il me bluffe, ce type.   

JEUDI SOIR

Retour de Monsieur Hulot, qui me retrouve en plein récurage du plan de travail. « Perrine ? Mais qu’est-ce que tu fous ? » « Ben, tu le vois bien, je nettoie ». « MMaaiiissss…. tu sais que la femme de ménage vient demain ? » « Oui ben justement !! Je veux pas qu’elle pense qu’on est des crades !! » « Mais enfin, c’est le principe du nettoyage!! Enlever la crasse !! » « Oui mais pour son premier jour, je veux que tout soit impec !! ». 

VENDREDI MATIN

Je suis dans ma douche lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit, dans une maison encore toute ensommeillée. Je manque de me casser la gueule en jumpant sur le sol détrempé de la salle de bain, avant de sauter dans un jean que j’ai grand peine à enfiler sur mes jambes mouillées. Quelques secondes plus tard, j’ouvre la porte. Une jolie jeune fille, sortie tout droit de la page 48 du dernier La Redoute, toute fraîche et tout sourire - soit une de ces créatures qui n’ont visiblement pas besoin de sommeil - me salue : « Bonjour Madame !! » Je regarde autour de moi. Ah oui, juste, c’est à moi qu’elle s’adresse, j’ai toujours du mal à m’y faire. « Bonjour, euh, Mademoiselle », répond la masse de cheveux mouillés qui se tient dans l’embrasure de la porte. « Entrez, entrez. ». Je la conduis vers la cuisine, en la mettant d’emblée en garde, d’une façon qui n’aurait été autre si j’avais reçu Nadine de Rothschild ou un membre de l’Afsca. « Ne regardez pas le bazar hein, on a eu une semaine assez chargée et avec deux enfants, on a un peu du mal à tenir la maison en ordre….. », lui dis-je en essayant de me souvenir à quelle heure avancée de la nuit j’avais terminé le marathon du nettoyage : en tout cas, j’étais encore en train de retirer tous les calbuts troués et autres chaussettes douteuses de la manne que je comptais lui demander de repasser le lendemain, lorsque Jérôme Colin posa pour la quatrième fois de la soirée la même question à Lou Doillon. Au point qu’entre deux rediffusions de Hep Taxi !, j’ai sérieusement envisagé de m’en remettre à C’est du propre ! , voire à Pierre-Emmanuel de Tous Ensemble pour venir raser ma maison et en reconstruire une nouvelle, avec l’aide de tous les habitants de Pommerez. « Mais qu’est-ce que vous racontez ? Il fait tout propre ici, et c’est mignon tout plein ». Le tour du propriétaire une fois terminé, Jessica décide d’attaquer la manne de repassage, dans laquelle ne subsistent que les plus décentes de nos fringues, soit à peu près trois frocs et deux bavoirs. C’est à ce moment que déboulent dans la cuisine Monsieur Hulot, fringuant dans son costume de comptable, et mes deux filles, dans des pyjamas approximatifs. Après avoir salué notre héroïne du jour, Monsieur Hulot me rejoint « dans » le frigo. « Perrine, je rêve, t’es encore en train de faire le ménage ? » me murmure-t-il, en me pinçant légèrement le biceps, « T’auras plus nettoyé ces dernières 24 heures que ces trois dernières années. Putain, c’est pas le moment de trier le frigo, on est hyper à la bourre!! » « Mais enfin, je peux pas laisser cette fille laver notre saleté, pourquoi elle ferait ça ? Non mais regarde-la, elle est toute fragile, elle est bien plus jeune que nous, elle va se choper le saturnisme la pauvre fille !! » En jetant les dernières portions de Vache qui rit périmées dans la poubelle, je me rendais mentalement à l’évidence. Je ne serai jamais capable de déléguer ces tâches ingrates à quelqu’un d’autre qu’à nous-mêmes, seuls responsables de cette misère humaine. Je n’ai jamais eu l’habitude de me faire servir. Au contraire. Au resto, j’ai toujours du mal à ne pas proposer de débarrasser la table ou de faire la vaisselle. Et si je sais que les titres-services sont des aides à l’emploi – certes polémiqués – je ne vois pas pourquoi en échange de trois bouts de papier, de pauvres innocentes devraient se risquer à l’entretien de ma maison.


3 MOIS PLUS TARD

Jessica est toujours là. Fidèle au poste, souriante, pimpante. Notre sauveuse. On est devenus potes. Parfois, je fais la vaisselle pendant qu’elle repasse. Parfois, je glande sur Facebook. Mais la plupart du temps, je suis au boulot à cette heure-là. Ca m’évite de culpabiliser. Et quand je rentre, je suis trooop contente de sentir l’odeur de citron/menthe fraîche qui me chatouille les narines et de découvrir d'autres indices délicieux du passage de notre « greenwashing fairy »……