dimanche 14 avril 2013

Episode XXVII : Y a des mamans à poux, y a des mamans pas à poux….


Le pou est dans la bergerie

Comme je vous l’ai déjà fait constater au cours de précédents épisodes, un petit mot dans un cartable est rarement porteur de bonnes nouvelles. J’en veux une nouvelle fois pour preuve le  « communiqué » découvert dans la farde de la petite Oompa Loompa il y a de cela trois mois. Dans un style légèrement alarmiste, façon annonce de l’invasion martienne par Orson Welles sur les ondes en 1938 – ALERTE AUX POUX !! - le billet nous informe de la découverte de quelques uns de ces êtres parasitaires sur une de nos têtes blondes, qui préfère garder l’anonymat. Si le message est percutant, il n’en est pas moins concis. L’information n’est en effet suivie d’aucune recommandation, ni d’aucun type de précaution à prendre. Genre : tout bon parent qui se respecte, toute mère digne de ce nom, connaît la marche à suivre en pareille circonstance. Les autres n’ont qu’à se démerder, poser la question autour d’eux, quitte à provoquer chez leurs interlocuteurs un légitime sentiment de dégoût. Mais oui, mais quoi ? Je n’y peux rien moi, si je n’ai jamais eu de pou, et il faut bien une première fois !!  Je me rappelle alors les paroles de ma mère, qui aime toudi me conter les souvenirs d’une enfance vécue dans les années d’après-guerre. « Moi, à mon époque, quand on avait des poux, on nous rasait l’crâne !! », me lança-t-elle un jour avec cette fierté, voire cette pointe d’arrogance, dont peuvent faire preuve les babyboomers, comme s’ils étaient nés en des temps préhistoriques. Jugeant certes cette mesure pas très 2013 et un peu radicale alors que ma fille bénéficie encore de la présomption d’innocence, je décide qu’il sera encore temps d’aller consulter des grands forums sur internet une fois que j’aurai la preuve qu’elle abrite illégalement de pareilles bestioles.


Ca a quelle tronche, un pou ?


C’est à ce moment que Monsieur Hulot franchit la porte d’entrée. Dans un ton raccord à celui du billet, je lui annonce la terrrrrrible nouvelle quant à la potentielle maladie honteuse de ma fille. Il me rassure tout de suite : « Mais tu sais, de toute manière, y a pas de mal hein, les poux, ça aime les cheveux propres…… ». Ravalant alors la phrase que j’allais commencer - soit que j’étais d’autant plus affligée que moi-même n’avais jamais eu de poux - je somme le Professeur Es Arthropodes de s’attaquer lui-même à la fouille capillaire de nos fillettes. Ben oui, si je sais à quoi ressemble une tique (étant petite, je collectionnais dans un vivarium celles arrachés au vieux Nestor, le zinneke de la famille), si je visualise bien la gueule d’un ténia (Spielberg s’en est inspiré pour créer E.T.), je n’ai aucune fucking idea d’à quoi peut bien ressembler un pou, ni de ses dimensions, que je devine indécelables à mon œil nu, rapport à mon hypermétropie. Monsieur Hulot est de bonne volonté mais voilà, comme nous n’avions jamais eu à faire face à ce genre d’incident, nous ne disposions pas encore de l’artillerie anti-poux. C’est donc à l’aide d’un peigne tout ce qu’il y a de plus classique que nous nous attaquons à la crinière de nos lionnes. Après 45 minutes de démêlage, nous voilà rassurés. Pas la moindre trace de corps étrangers dans la tignasse de notre progéniture.

Sauf que….

Deux jours plus tard, alors que nous pensions cette histoire réglée et reléguée au rang des traumatismes passés, v’là-t-y pas que je constate, en coiffant ma jeune Padawan au saut du lit, la présence de petits boutons rouges dans son cou. So suspect et pourtant, le franc ne tombe pas. Ce n’est qu’au moment où je surprends sa petite sœur en train de se gratter frénétiquement le cuir chevelu – est-ce pour ça qu’elle fait entrer plus de ChocoPops dans ses narines que dans sa bouche ? - que je comprends.  Rapide coup d’œil à l’horloge : merde, plus le temps de passer en revue les deux chevelures de mes filles qui, entre parenthèses, n’ont rien à envier à celle d’une Raiponce qui aurait été privée de peigne pendant ses 18 ans de détention, voire de Crasse-Tignasse* - pour la plus jeune. Tant pis, je vais tenter le tout pour le tout, et nier l’affaire.

Arrivée devant la porte de la classe, je frissonne. Obstruant totalement le passage, façon douane volante, la déléguée des parents de la classe filtre les arrivées.

 « - Perrine, bonjour !! Comment ça vaaaa ? 
 - Salut Déborah !! Bien et toi ? 
- Dis, tu as vu le mot dans la farde de ta fille début de semaine ? Tu as vérifié si elle avait des poux ? 
-  Ben je…. 
  - Non, parce que, il y a déjà le petit Corentin qui en a eu 5, Justine en a bien eu 7, Léa est bourrée de lentes….», énumère la chef de la milice locale avec une exhaustivité qui ne manquera certainement pas de me mettre en retard au boulot. Je ne sais que dire. Je panique. Et mens par omission. « - Non écoute, j’ai rien vu en tout cas. » « - MMMMMMM…. », marmonne l’œil de Moscou, en scrutant de derrière sa troisième paire gratuite d’Afflelou, le haut du crâne de la petite Oompa Loompa qui, pour la première fois depuis son entrée à l’école, arbore un grand bandana qui dissimule la moitié de ses cheveux. 
«- En tout cas, si ça continue, sache que je passerai toute la classe au peigne fin…. Quitte à en mettre certains en quarantaine !! »

A peine arrivée au boulot, je saute sur mon téléphone, et appelle mes consultantes en matière de problèmes liés à l’enfance : sœurs, belles-sœurs, meilleures potes.  Et ne manque pas de me faire traiter d’inconsciente.

Sœur 1 : « Quoi ? Tu ne leur as pas encore fait un shampooing ? Fonce chez la pharmacienne acheter des litres de Shampou. Lave les cheveux de toute la famille aujourd’hui, et refais un shampooing dans quatre jours….. »
Sœur 2 : « …..et passe le peigne anti-poux tous les soirs, c’est le plus important….. »
Amie 1 : « …. Essaie les huiles essentielles, c’est radical….. »
Amie 2 : « …..Non, pas besoin de dépenser des fortunes, traite-les à l’huile d’olive, ça marche super bien….. »
Sœur 2 : « ….. Le peigne, le peigne, le peigne….. Deux fois par jour. Pendant un mois…. »
Belle-sœur 1 : « Et lave les brosses, la literie, change les draps, mets un essuie sur leurs oreillers…. »
Belle-sœur 2 : « ….. sans oublier de laver les sièges auto, les bonnets, les écharpes, les cols de veste…. »
Sœur 2 : « Le peigne, Perrine, LE PEIGNE !! »
Sœur 1 : « Oui parce que ça tue les poux, mais pas les lentes…. »
Belle-sœur 1 : « Je me suis battue pendant 4 mois avec les poux !! »
Amie 1 : « …Brûle tout !! Déménage !! Change de vie !!..... »
Sœur 2, une pointe de sanglot dans la voix: « Et encore…. Tu n’as pas encore connu les vers….. »


Clong. Je raccroche. Non mais quoi ? C’est des enfants que j’ai moi, pas une meute d’épagneuls bretons. Comment c’est possible d’en arriver là ? Et puis comment je vais faire moi, logistiquement ? Je vais pas prendre un mi-temps pour venir à bout de quelques inoffensives petites bêtes? Parce qu’à part causer quelques gratouilles, quels chefs d’accusation pouvons-nous avoir contre elles? C’est pas pire que d’élever des mygales ou des bébés alligators, si ? Et que devrais-je sacrifier alors ? Mes cours de cirque ? Mes sorties avec Madeleine de Proust ? Ma vie de couple ?



Perrine Pou

Trois mois plus tard. Je suis à pou. Certes mes filles ont pu continuer à fréquenter leur établissement scolaire, mais à quel prix. Car oui, il est bien question ici de prix. A 18 Euros le flacon individuel, achat répété au moins cinq fois au cours des dernières semaines, j’ai pu faire une croix sur ce weekend à Madrid que j’avais projeté de faire avec Madeleine de Proust. A chaque fois que je pensais être débarrassée de ces parasites, bam, les lentes refaisaient leur come-back, assurant la filiation et la pérennité de la race au sommet des crânes de la famille. Pas de doute, si un jour le monde est décimé par une catastrophe nucléaire ou naturelle, la terre sera alors dominée par les poux. Pendant trois mois, j’ai fait des cauchemars dignes des plus grands films de Cronenberg où Monsieur Hulot venait me grignoter le cuir chevelu à l’aide de mandibules géantes. Pendant trois mois, nous avons vécu en quarantaine, refusant soirées festives et autres sauteries, pour nous consacrer exclusivement à la lutte anti-poux. Nous avons perdu quelques amis. Le jour où je me suis mise moi-même à me gratouiller le cuir chevelu, c’est joie de vivre et amour propre que j’ai alors perdus, après que Monsieur Hulot m’ait déniché un indésirable, planqué entre deux cheveux blancs. « Chéri, tu me fais les poux ? », me suis-je un jour surprise à lui lâcher, avant que cela ne devienne de l’ordre du quotidien, tel que cela se passerait dans une famille de bonobos. Des enfants qui ont des poux, c’est déjà pas top glorieux, mais un adulte, quel trauma, quelle honte suprême. Pensez bien que je n’osais plus sortir, au point d’hésiter à me faire une coupe à la Sinnead O’Connor, pour retrouver un semblant de vie sociale et un peu de glamour. Mais bon. Cette histoire nous a rendus plus fort, quelque part. Cela nous a soudés. Alors, avec ce léger syndrome de Stockholm dont je souffre aujourd’hui, je serais presque prête à en revendiquer les bienfaits, et à réclamer haut et fort : « Rendez-moi mes poux !!** ».