Ca s’est passé lundi dernier. De retour de vacances, embichée
suite à un boostage excessif de mélanine activé sur les plages de la Côte
d’Azur, j’arborais un bronzage qui ferait passer Poncherello pour un albinos
atopique, ainsi qu’une chevelure dorée obtenue grâce à un savant mélange de
soleil du midi et d’usage quotidien de Palmolive pour cheveux blonds (un comble
pour une brunette !!). Forte de ces atouts dont la nature, dans son
infinie bonté, dote provisoirement - avant de leur ôter cruellement -
juillettistes et aoûtiens, je franchis la porte tambour de la rédaction, vêtue d’un
débardeur des plus seyants, acheté à 4 Euros sur un marché de Provence.
Objectif officiel du jour : remettre au rédac’chef mon article sur la
ville de Grasse, tapoté de mes brunes mains sur mon laptop, au bord de la
piscine, entre deux lampées de Mojito. Objectif
officieux : me la péter avec mon bronzage avant qu’il ne disparaisse deux
jours plus tard, à force de déambulations sous la drache bruxelloise. C’était
sans compter le petit talent de société de ma collègue Lou-Anne, qui consiste à
saboter le moindre de ces petits bonheurs anticipés qui vous tirent du lit le
matin et qui vous motivent à vous lancer dans votre journée : le dernier Black Keys téléchargé sur votre IPode que vous écouterez dans le métro,
une nouvelle paire de pompes que vous contemplerez avec satisfaction en
attendant la correspondance, les restes des pâtes d’hier que vous vous
réjouissez déjà de vous enfiler à 11h58. Je franchis avec plus ou moins de succès les différents
niveaux du plateau de la rédaction :
« Waouw, tu reviens d’où pour être bronzée comme ça ? » me lance
avec un petit sourire faux-cul et pincé ma collègue cougar, soulignant
davantage ses rides creusées par des années de fréquentation abusive de l’Exotic Sun d’Evere. « Putain, on dirait Eva Longoria, en
couverture du dernier Oops !!
Bon, une Eva Longoria du pauvre, mais plus jeune, en même temps. » ½
point pour mon collègue homo, dont le tact n’a manifestement pas fait partie
des dons légués à sa naissance par les fées. Rien à voir cependant avec la
délicatesse incarnée que représente Lou-Anne. Elle, c’est pas 3 fées qui ont du
se pencher sur son berceau, mais plutôt des versions en robe de tulle d’Eric
Zemmour, de Darth Vador et de Laurence Boccolini : « Sympa cette blondeur, ça te change !! Et ce qui est bien,
c’est que du coup on voit beaucoup moins tes CHEVEUX BLANCS !! » .
Le temps suspend son vol. Mon bronzage vient de disparaître instantanément.
Tels les douze coups de minuit qui ramènent Cendrillon dans son triste
quart-monde, en transformant carrosse en citrouille et Jimmy Choo en Birkenstok,
j’ai l’impression d’avoir perdu en un coup de langue de vipère ces quelques
degrés de glamour que j’avais mis tant de temps à collecter. Une formule
assassine, et j’ai la sensation soudaine d’être à la fois palote, adipeuse, de
porter un pull à col roulé en poils d’alpaga et surtout d’être vieille, trèèèèès
vieille. Ca y est, je suis la Catherine Lara de la presse freelance. Non, même
pas. Je suis Julos Beaucarne. Le pire, c’est que non seulement ce Julian
Assange du short ras-del’touff lâche cette information en public, devant moi et
sans ménagement, mais qu’en plus, cette info tient à la fois du scoop et de la
diffamation : « Quoi ?
J’ai des cheveux blancs moi ? Mais non, je n’ai pas de cheveu blanc
moi ! ». Car s’il est vrai que j’avais déjà remarqué il y a
quelques semaines de cela la présence d’un cheveu délavé dans ma crinière ténébreuse,
je l’avais arraché sur le champ, pensant reléguer, avant même qu’il ne soit
connu, cet épisode au rang des vestiges cachés d’un passé foireux, indépendants
ou non de ma volonté (acné juvénile, vergetures post grossesse, tatouage
vulgos : témoignage d’une adolescence tourmentée). C’était sans compter
l’adage qui veut que les cheveux blancs soient comme les cafards : tu en
vires un, y a toute la smala qui débarque pour se venger. Et donc, pendant que
je pensais naïvement être débarrassée de cet intrus, le comité de lutte pour l’égalité des chances
militait activement contre ce racisme anti-blanc, opérant de grands mouvements
de regroupements familiaux. Ce que je prenais pour un accident de parcours
capillaire, une farçounette de la nature, était en fait le début d’une grande
opération de colonisation de mes cheveux par ces grands blancs, voire d’une
opération de dépigmentation savamment orchestrée.
Un tour aux waters histoire de recouper les sources et
d’aller vérifier l’info d’un coup d’œil certes pas des plus objectifs. Je les
compte : un, deux, trois, dix, douze !! DOUZE cheveux blancs !!
Et personne ne me dit rien !! Enfin, jusqu’à aujourd’hui !! Car
bizarrement, tout le monde semble tout d’un coup ne voir plus que ça. A croire
que Lou-Anne a balancé l’info sur les réseaux sociaux. Ca a commencé par
Gilbert, le rédac’chef. « Y a
quelque chose qui a changé, mais quuuuoi ? », me lance-t-il en
guise d’accueil, sans même porter la moindre attention à mon papier. Je
l’oriente : « Le
bronzage ? La frange ? Mes 3 kilos perdus ? »
« AAAAahhh mais attends voir, qu’est-ce que je vois là ? Mais
Perrine, ma parole, t’as des cheveux blancs !! Félicitations, te voilà
adulte !! ». Et ça a continué le soir, alors que j’avais convié ma
sœur à prendre l’apéro pour lui montrer mes photos de vacances. Est-ce pour se
venger de cette invitation à l’activité la plus cafardeuse qui soit pour qui n’a
pas participé aux dites vacances, première chose qu’elle me lâche en me faisant
la bise : « Et c’est drôle
ça !! J’avais jamais remarqué que t’avais des cheveux blancs !! C’est
jeune dis pour en avoir !! » Mais je vous emmerde, tous autant
que vous êtes !! Est-ce qu’on fait chier Françoise Hardy, une des plus
belles femmes au monde, parce qu’elle a le cheveu légèrement palot ? Mais
les remarques les plus désagréables sont encore celles qui frôlent la
condescendance : « Mais c’est
super sexy des cheveux blancs !! » Oui, sur George Clooney, ok.
C’est vrai qu’avoir le cheveu poivre et sel peut, dans certains cas, être effectivement
gorgeous. Mais George Clooney, pour rappel, n’est pas une femme et n’a pas 31
ans. C’est décidé, demain, je vais m’acheter le L’Oréal Acajou Profond dont – tiens !! - Eva Longoria est l’égérie. Ou alors j’utilise
la tactique de Quick & Flupke qui repeignent tout le parquet
dans la couleur noire de la tache qu’ils viennent d’y faire, et je me désoxyde
toute la tignasse. Comme ça, ça, ce sera fait !! Non mais.