Le pou est dans la bergerie
Comme je vous l’ai déjà fait constater au cours de
précédents épisodes, un petit mot dans un cartable est rarement porteur de
bonnes nouvelles. J’en veux une nouvelle fois pour preuve le « communiqué » découvert dans la
farde de la petite Oompa Loompa il y
a de cela trois mois. Dans un style légèrement alarmiste, façon annonce de l’invasion martienne par Orson Welles
sur les ondes en 1938 – ALERTE AUX
POUX !! - le billet nous informe de la découverte de quelques uns de
ces êtres parasitaires sur une de nos têtes blondes, qui préfère garder
l’anonymat. Si le message est percutant, il n’en est pas moins concis.
L’information n’est en effet suivie d’aucune recommandation, ni d’aucun type de
précaution à prendre. Genre : tout bon parent qui se respecte, toute mère
digne de ce nom, connaît la marche à suivre en pareille circonstance. Les
autres n’ont qu’à se démerder, poser la question autour d’eux, quitte à
provoquer chez leurs interlocuteurs un légitime sentiment de dégoût. Mais oui,
mais quoi ? Je n’y peux rien moi, si je n’ai jamais eu de pou, et il faut
bien une première fois !! Je me
rappelle alors les paroles de ma mère, qui aime toudi me conter les souvenirs
d’une enfance vécue dans les années d’après-guerre. « Moi, à mon époque, quand on avait des poux, on nous rasait
l’crâne !! », me lança-t-elle un jour avec cette fierté, voire
cette pointe d’arrogance, dont peuvent faire preuve les babyboomers, comme
s’ils étaient nés en des temps préhistoriques. Jugeant certes cette mesure pas
très 2013 et un peu radicale alors que ma fille bénéficie encore de la
présomption d’innocence, je décide qu’il sera encore temps d’aller consulter
des grands forums sur internet une fois que j’aurai la preuve qu’elle abrite
illégalement de pareilles bestioles.
C’est à ce moment que Monsieur Hulot franchit la porte
d’entrée. Dans un ton raccord à celui du billet, je lui annonce la terrrrrrible
nouvelle quant à la potentielle maladie honteuse de ma fille. Il me rassure
tout de suite : « Mais tu sais,
de toute manière, y a pas de mal hein, les poux, ça aime les cheveux
propres…… ». Ravalant alors la phrase que j’allais commencer - soit
que j’étais d’autant plus affligée que moi-même n’avais jamais eu de poux - je
somme le Professeur Es Arthropodes de s’attaquer lui-même à la fouille
capillaire de nos fillettes. Ben oui, si je sais à quoi ressemble une tique
(étant petite, je collectionnais dans un vivarium celles arrachés au vieux
Nestor, le zinneke de la famille), si je visualise bien la gueule d’un ténia
(Spielberg s’en est inspiré pour créer E.T.), je n’ai aucune fucking idea d’à
quoi peut bien ressembler un pou, ni de ses dimensions, que je devine
indécelables à mon œil nu, rapport à mon hypermétropie. Monsieur Hulot est de
bonne volonté mais voilà, comme nous n’avions jamais eu à faire face à ce genre
d’incident, nous ne disposions pas encore de l’artillerie anti-poux. C’est donc
à l’aide d’un peigne tout ce qu’il y a de plus classique que nous nous
attaquons à la crinière de nos lionnes. Après 45 minutes de démêlage, nous
voilà rassurés. Pas la moindre trace de corps étrangers dans la tignasse de
notre progéniture.
Sauf que….
Deux jours plus tard, alors que nous pensions cette
histoire réglée et reléguée au rang des traumatismes passés, v’là-t-y pas que
je constate, en coiffant ma jeune Padawan au saut du lit, la présence de petits
boutons rouges dans son cou. So suspect et pourtant, le franc ne tombe pas. Ce
n’est qu’au moment où je surprends sa petite sœur en train de se gratter
frénétiquement le cuir chevelu – est-ce pour ça qu’elle fait entrer plus de ChocoPops dans ses narines que dans sa
bouche ? - que je comprends. Rapide
coup d’œil à l’horloge : merde, plus le temps de passer en revue les deux
chevelures de mes filles qui, entre parenthèses, n’ont rien à envier à celle
d’une Raiponce qui aurait été privée de peigne pendant ses 18 ans de détention,
voire de Crasse-Tignasse* - pour la plus jeune. Tant pis, je vais tenter le
tout pour le tout, et nier l’affaire.
Arrivée devant la porte de la classe, je frissonne.
Obstruant totalement le passage, façon douane volante, la déléguée des parents
de la classe filtre les arrivées.
- Salut Déborah !!
Bien et toi ?
-
Dis, tu as vu le mot dans la farde de ta fille début de semaine ? Tu as
vérifié si elle avait des poux ?
-
Ben je….
- Non, parce que, il y a déjà le petit Corentin qui en a eu 5,
Justine en a bien eu 7, Léa est bourrée de lentes….», énumère la chef de la
milice locale avec une exhaustivité qui ne manquera certainement pas de me
mettre en retard au boulot. Je ne sais que dire. Je panique. Et mens par
omission. « - Non écoute, j’ai rien
vu en tout cas. » « - MMMMMMM…. »,
marmonne l’œil de Moscou, en scrutant de derrière sa troisième paire gratuite
d’Afflelou, le haut du crâne de la
petite Oompa Loompa qui, pour la première fois depuis son entrée à l’école,
arbore un grand bandana qui dissimule la moitié de ses cheveux.
«- En tout cas,
si ça continue, sache que je passerai toute la classe au peigne fin…. Quitte à en
mettre certains en quarantaine !! »
A peine arrivée au boulot, je saute sur mon téléphone, et
appelle mes consultantes en matière de problèmes liés à l’enfance : sœurs,
belles-sœurs, meilleures potes. Et ne
manque pas de me faire traiter d’inconsciente.
Sœur 1 : « Quoi ?
Tu ne leur as pas encore fait un shampooing ? Fonce chez la pharmacienne
acheter des litres de Shampou. Lave les cheveux de toute la famille
aujourd’hui, et refais un shampooing dans quatre jours….. »
Sœur 2 : « …..et
passe le peigne anti-poux tous les soirs, c’est le plus important….. »
Amie 1 : « ….
Essaie les huiles essentielles, c’est radical….. »
Amie 2 : « …..Non,
pas besoin de dépenser des fortunes, traite-les à l’huile d’olive, ça marche
super bien….. »
Sœur 2 : « …..
Le peigne, le peigne, le peigne….. Deux fois par jour. Pendant un mois…. »
Belle-sœur 1 : « Et
lave les brosses, la literie, change les draps, mets un essuie sur leurs
oreillers…. »
Belle-sœur 2 : « …..
sans oublier de laver les sièges auto, les bonnets, les écharpes, les cols de
veste…. »
Sœur 2 :
« Le peigne, Perrine, LE PEIGNE !! »
Sœur 1 : « Oui
parce que ça tue les poux, mais pas les lentes…. »
Belle-sœur 1 : « Je
me suis battue pendant 4 mois avec les poux !! »
Amie 1 : « …Brûle
tout !! Déménage !! Change de vie !!..... »
Sœur 2, une pointe de sanglot dans la voix: « Et encore…. Tu n’as pas encore connu les
vers….. »
Clong. Je raccroche. Non mais quoi ? C’est des enfants
que j’ai moi, pas une meute d’épagneuls bretons. Comment c’est possible d’en
arriver là ? Et puis comment je vais faire moi, logistiquement ? Je
vais pas prendre un mi-temps pour venir à bout de quelques inoffensives petites
bêtes? Parce qu’à part causer quelques gratouilles, quels chefs d’accusation
pouvons-nous avoir contre elles? C’est pas pire que d’élever des mygales ou des
bébés alligators, si ? Et que devrais-je sacrifier alors ? Mes cours
de cirque ? Mes sorties avec Madeleine de Proust ? Ma vie de
couple ?
Perrine Pou
Trois mois plus tard. Je suis à pou. Certes mes filles ont
pu continuer à fréquenter leur établissement scolaire, mais à quel prix. Car
oui, il est bien question ici de prix. A 18 Euros le flacon individuel, achat répété
au moins cinq fois au cours des dernières semaines, j’ai pu faire une croix sur
ce weekend à Madrid que j’avais projeté de faire avec Madeleine de Proust. A
chaque fois que je pensais être débarrassée de ces parasites, bam, les lentes
refaisaient leur come-back, assurant la filiation et la pérennité de la race au
sommet des crânes de la famille. Pas de doute, si un jour le monde est décimé
par une catastrophe nucléaire ou naturelle, la terre sera alors dominée par les
poux. Pendant trois mois, j’ai fait des cauchemars dignes des plus grands films
de Cronenberg où Monsieur Hulot venait me grignoter le cuir chevelu à l’aide de
mandibules géantes. Pendant trois mois, nous avons vécu en quarantaine,
refusant soirées festives et autres sauteries, pour nous consacrer exclusivement
à la lutte anti-poux. Nous avons perdu quelques amis. Le jour où je me suis
mise moi-même à me gratouiller le cuir chevelu, c’est joie de vivre et amour
propre que j’ai alors perdus, après que Monsieur Hulot m’ait déniché un indésirable,
planqué entre deux cheveux blancs. « Chéri,
tu me fais les poux ? », me suis-je un jour surprise à lui
lâcher, avant que cela ne devienne de l’ordre du quotidien, tel que cela se
passerait dans une famille de bonobos. Des enfants qui ont des poux, c’est déjà
pas top glorieux, mais un adulte, quel trauma, quelle honte suprême. Pensez
bien que je n’osais plus sortir, au point d’hésiter à me faire une coupe à la
Sinnead O’Connor, pour retrouver un semblant de vie sociale et un peu de
glamour. Mais bon. Cette histoire nous a rendus plus fort, quelque part. Cela
nous a soudés. Alors, avec ce léger syndrome de Stockholm dont je souffre
aujourd’hui, je serais presque prête à en revendiquer les bienfaits, et à
réclamer haut et fort : « Rendez-moi
mes poux !!** ».