Cet épisode commence par un cri d’effroi. Une longue plainte glacée
dans une toute aussi lugubre nuit d’octobre. Celui d’une mère qui vient d’ouvrir
le journal de classe de sa fille….Et de découvrir avec horreur, dissimulé entre
un courrier de l’ISBW et une facture de la garderie, un tout petit papier en
format 10x15, agrémenté d’une illustration type Windows Gallery, qui présage le
pire au premier coup d’œil. Rassurez-vous, il n’est pas question ici d’Anthrax
ou autre poudre suspecte. Mais à l’école de ma jeune Padawan, c’est en effet
par ce genre de papier, inoffensif en apparence, que l’on apprend sa condamnation
à passer un bon nombre d’heures, voire de soirées, à la confection d’un
déguisement ultra sophistiqué, sous peine d’infliger à son enfant une sérieuse
honte. Quoi ? Qu’entends-je ? Vous me suggérez quoi ? D’acheter un
déguisement tout fait chez Hema ?
Alors là, je vous arrête tout de suite !! Pas question de sortir un franc
de ma poche pour participer à cette grande mascarade qu’est la fête d’Halloween,
pas question d’allouer le moindre liard à la célébration de l’impérialisme
américain, ni d’encourager nos moufflets à venir déranger les honnêtes gens en
plein Questions à la Une, au nom de
cette grande et ancestrale tradition d’Halloween made in Europe, vieille d’au-moins….
ouuuhh là….. 15 ans, dont ils ne connaissent ni la véritable origine, ni l’histoire
(ou la relient vaguement à la série Casper
à l’école de la peur), ces mêmes petits morveux toujours au taquet lorsqu’il
s’agit de cultiver leurs futurs chicots à grand renfort de boules, mais
incapables de bouger leurs fesses pour aller fleurir la tombe de leur arrière-grand-mère
(qui ça ?) lors des fêtes de la Toussaint (Quoi ça ?). Bon j’arrête
là le pamphlet anti-Halloween au risque de sombrer dans la crise de nerfs,
voire d’épilepsie. De toute manière, comme d’hab, je n’ai pas le choix. Refuser
de se soumettre à ce dictat de l’américanisme risquerait de mettre la crédibilité
de ma fille en péril, et je ne peux m’y résoudre.
Bon, là, je m’excite un peu sur Halloween, mais en réalité,
quel que soit l’événement du calendrier qui nécessite que les enfants se
griment, y a rien à faire, je panique. Parce que je sais que sous des airs bon
enfant, cette petite mission demandée aux parents frôle réellement la
compétition. Chacun sa stratégie, et chaque stratégie les railleries parentales
qui vont avec. Il y a ceux qui optent
pour le déguisement flambant neuf de chez Picard – « Regardez-moi ça la p’tite Elodie, sa mère a encore déboursé 50
Euros pour qu’elle ait le plus beau déguisement de la classe. Bon évidemment
quand on est cadre chez GSK on a les moyens. Mais évidemment moins de temps
pour fabriquer soi-même un déguisement. PPfff, c’est tellement easy quoi. Mais
où sont l’authenticité et l’amusement dans tout ça ? C’est triste. ».Il
y a ceux qui dès la mi-août se jettent sur leur machine à coudre pour s’atteler
sans plus attendre à la confection du costume de Capitaine Crochet de leur
castard. « Regardez-moi ça le p’tit
Hugo, dans son déguisement fait-main hyper impec. Ah ça quand on est mère au
foyer, évidemment, on a le temps. Moi aussi hein je pourrais te faire la
panoplie de Robocop, si je bossais pas tous les soirs jusque 19h. » Et
puis il y a moi. Inclassable, voire…. hors catégorie. Concourant seule pour le
titre du déguisement le plus improbable. Et pourtant, c’est pas la bonne
volonté qui me manque. Chaque année, je retente le coup, chaque année, je me
vautre.
En première maternelle, j’avais opté pour la simplicité.
Forte de mes principes anti-tyrannie US qui n’avaient pas encore été ébranlés,
j’avais opté pour le compromis « ok pour le déguisement (je me sacrifie
pour ma fille), mais ce sera le strict minimum ». Genre, un tissu blanc pour
faire un fantôme quoi. Le lundi soir, je retrouve un vieux drap dans le
grenier. Ok, ça fera l’affaire, j’ai mon déguisement ! Je percerai juste
deux trous pour les yeux la veille au soir et c’est caisse ! Le mardi
soir, je prends quand même la peine de déplier le drap. Vieilles tâches suspectes
parsemant ce tissu dont je me demande s’il n’a pas servi à emballer le cochon
de notre dernier méchoui familial. Bah, c’est un peu gore, c’est encore mieux!!
Le mercredi soir, je me dis que ce déguisement est vraiment naze. Mais je vais
dormir. Le jeudi matin, me vient une idée au saut du lit. Et si je l’agrémentais
d’un boulet ? Ça en jetterait ça, non ? Un boulet ? Ah ouais !!
Le jeudi soir, veille de la fameuse fête, j’apprends que mon mari gerbe tripes
et boyaux et est incapable de gérer les filles. 18h30, j’embarque la petite Oompa
Loompa et sa grande sœur pour une virée nocturne au Brico de Wavre. Fête. Précision :
j’ai également 38,5 de fièvre. Une bonne petite soirée préHalloween dans toute
sa splendeur quoi. Heureusement, dans mes délires liés à ce petit état grippal
délicieux de début d’automne, j’avais trouvé en théorie le moyen de
confectionner le boulet : une boule de frigolite sphérique et une chaîne en
métal que je trouverais surement au rayon quincaillerie. Que nenni, j’ai du
parcourir et reparcourir cinq fois chaque rayon du Brico, avec deux jeunes
enfants s’endormant à moitié dans le caddie. Au moment où je regrettais de ne
pas avoir un flingue à pointer sur un petit homme en jaune pour qu’il me
fabrique lui-même mon déguisement, je tombe sur une espèce de vieille boule en oasis
qui ferait tout à fait l’affaire pour servir de boulet. Le soir, à 22h, me
voilà à bomber le tout à grand renfort de teinture argentée, avec 39° de fièvre et une
intoxication au plomb toute neuve. Résultat, ma fille s’est quand même tapé la
honte avec son vieux drap, alors que ses copines paradaient dans leurs habits
de sorcière girly, et j’ai été alitée pendant quatre jours. Le boulet, c’est
moi.
L’année suivante, comme je suis le genre de fille qui apprend
de ses erreurs, je me dis que cette année, on ne me la fera pas. Au diable la
fatigue et le boulot, cette année, je serai une mère digne, peu importe si je
dois passer toutes mes soirées à coudre (enfin, à apprendre à coudre) et à confectionner
des grandes œuvres en papier mâché. Ma Padawan m’avait informée assez tôt de
ses attentes concernant son costume. Ce serait…. un dragon. Super fastoche quoi !!
Alors là, passer du fantôme au dragon, ça va pas du tout être coton…. Mais bon,
je ne me braque pas. Je me détends, je respire un bon coup, je tape dragon dans
Google, je visualise et imagine, et je réalise un rétroplanning pour arriver en
temps et à heure à relever ce challenge. Je passe des soirées à tremper des
bandelettes dans de la colle, entre vision hallucinatoire de farfadets et élans
de désespoir. La Padawan me soutient, psychologiquement. Mais ne trempe pas la
moindre phalange dans le pot de Pattex.
Vendredi matin, à l’heure de la vêtir de son costume, mon cœur palpite à l’idée
de la joie qui se lira bientôt sur son petit minois. L’enfant arrive. Elle
inspecte le résultat, dubitative. L’enfile. Et pleure. Elle veut un costume de
Princesse. Le dragon, c’est pas elle, c’est moi. Je me fâche et l’expédie à l’école
avec son gros ventre et son casque de papier mâché bringuebalant. Dans la
voiture, en route vers le boulot, je fais du boudin. Je lui en veux, à cette
petite ingrate. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir pitié. Je la revoie, penaude,
seule au milieu de toutes ses Mélusine miniatures de copines, avec ses pattes
beaucoup trop grandes, et son museau qui tombe toutes les deux secondes - et si on danse ? J’eus encore davantage mal
au cœur quand j’appris le soir que les élèves avaient participé à une longue
balade d’Halloween qui avait duré tout l’après-midi…..
Cette année, avec la volonté de la fille qui ne renonce
jamais, et pour éviter toute surprise, j’ai proposé à ma fille de choisir un
costume parmi ceux du livre « 40 déguisements
pour les grands » reçu à son anniversaire. Son choix se porta immédiatement sur
le magicien de la page 32. Super, pas trop girly-princesse-fuschia-dégueulasse,
pas trop Halloween-cafardeux, et super facile à faire !! Après un saut au CreaCorner de Wavre (enfin, un saut de
45 minutes quand même. Mes filles me maudissent encore !! Pour l’anecdote, je les avais laissées dans
ma voiture après avoir constaté qu’elles dormaient à poings fermés en arrivant
au magasin. Vu la profondeur de leur sommeil, je n’eus pas trop de scrupules à
les laisser sur le parking, d’autant que les baies vitrées me permettaient de m’assurer
régulièrement qu’elles ne se faisaient pas kidnapper. Je les ai retrouvées hurlantes
et ruisselantes de larmes (et de chocolat dans le cas de la petite Oompa Loompa
qui s’était endormie un ChocoPrince à
la main)), j’avais, pour le prix d’un déguisement flambant neuf de chez Picard,
tous les éléments pour fabriquer un costume de feu !! Au moment de m’y
mettre, je comprends qu’en fait, par « pour
les grands », ils ne signifient pas 6-8 ans, mais 30-60 ans…. Rapport
aux patrons ultra compliqués à confectionner pour qui n’a pas une grande
passion pour le stylisme. J’ai passé mon samedi soir à lutter, à mesurer, à
découper. Et j’ai abandonné. Le lundi soir, ma mère en visite à la maison m’interroge
sur ce tas de vieilles loques gisant sur la table et me demande si elle peut s’en
servir pour cirer les chaussures car elle manque de chiffons. Après avoir reçu
mes explications, c’est ma mère, cette fois, qui est prise de pitié. Elle
embarque les tissus, le livre de déguisements et franchit la porte d’entrée en
me promettant que le costume sera prêt pour jeudi soir. C’est loin d’être la
première fois que ma mère se sacrifie pour moi, mais ce sera la première fois de
sa vie qu’elle confectionnera un costume d’Halloween……
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