Souvenez-vous. C’était il y a une quinzaine d’années. Vous étiez ado et
mal dans votre peau. Toute la semaine, vous deviez vous farcir 7 heures par
jour derrière les bancs de l’école. Alors le vendredi, c’était sacré. A moins
d’avoir booké un baby-sitting, vous passiez rarement la première soirée du
weekend devant la télé. Et il aurait fallu vous payer pour rester à regarder Apostrophes avec
vos parents. Non, le vendredi, c’était soirée mousse à gogo, ou autre
improbable message party.
Souvenez-vous, c’était il y a une dizaine d’années. Vous étiez étudiant
et bien dans votre peau. Toute la semaine, vous étiez dans l’obligation de
guindailler. Le lundi, vous vous rouliez dans la fange à la Jefke. Le mardi,
vous vomissiez au Cesec. Le mercredi, vous rouliez des pelles aux soirées de
l’Ihecs. Le jeudi, vous vous saouliez au ciné club de l’IAD. Alors, quand
arrivait le vendredi, vous n’aviez plus qu’une seule aspiration: somnoler dans
le canapé à côté de vos parents, en matant Thalassa.
Souvenez-vous, c’était vendredi passé. Vous êtes aujourd’hui un
trentenaire semi-bien dans sa petite vie. Toute la semaine, vous avez bossé.
Mais pas que. Le lundi, vous avez conduit votre fils au judo et votre fille à
son cours de danse. Le mardi, vous avez fait quelques heures supp’ avant votre
séance de psy. Le mercredi, c’était piscine pour tout le monde. Le jeudi, vous
vous êtes fait plomber une molaire chez votre vieux dentiste libidinal, avant de
rejoindre, à la bourre, une réunion de parents. Alors, le vendredi, vous vous retrouvez
avec l’énergie d’un cheval de trait pensionné et avec le même engouement pour
la dancefloor que celui de Donna Martin dans l’épisode de BH où elle porte un
déguisement de sirène au Bal de Promo. Vous êtes tellement soumis au dictat de
votre filofax - oui, un filofax, c’est overnineties et c’est pour ça que vous
avez toujours le vôtre, incorrigible nostalgique que vous êtes-, que même en
matière de festivités, vous procrastinez. La débauche, ça sera pour demain. Oui, pour le trentenaire, le vendredi, ça pue, le samedi, c’est swag. Et ça ne lui laisse plus qu'un soir pour ses sauteries diverses et variées.
Mais moi il faut qu’on m’explique. Ben oui, ça m’échappe. Quoi ? Vous
pensez sérieusement qu’après avoir conduit votre mouflet à sa réunion baladin, fait
une virée chez Brico pour trouver LA
poignée de porte de cuisine idéale, repeint le meuble hérité de votre chineuse
– et j’insiste sur la quatrième lettre – de belle-m’, attendu votre commande à
la beenhouwerij, être passé au car
wash, et avoir enfin récupéré votre Baden Powell en puissance - qui aura tôt
fait de recrotter votre intérieur cuir une fois qu’il y aura déposé ses bottes Aigle et les mottes de boue qui y sont
inévitablement accrochées en ce mois de novembre -, vous aurez la fraîcheur
d’un gardon et serez prêt à vous ruer sans plus attendre chez Madame Moustache ou chez Mr Wong, pour une folle soirée
bobo ? Oui, j’avoue, j’ai du mal à comprendre cette phobie du vendredi qui
semble frapper le trentenaire, surtout lorsqu’il devient parent. La semaine
passée encore, j’ai vécu un grand moment de solitude adulescente alors que je
tentais de composer un petit groupe festif pour participer à la désormais culte
God save the 90’s . Je pensais
susciter enthousiasme et cris de joie chez les destinataires de mon mail à la
réception de celui-ci, et qu’est-ce que je reçus à la place ? Oui,
qu’est-ce que je reçus, Madame ? Des excuses. Par milliers. Un flot
d’excuses. Une chiée d’arguments à faire tomber la toge du plus véreux des
avocats. « Non Perrine, je ne peux
pas, je suis en weekend en Alsace avec la famille d’Arnaud - « Tu
l’as toujours pas largué ce plouc ? », « Non Perrine, je ne peux pas, ma babysit est en blocus. » - « Et les grands-parents, c’est pour
les chiens ? » , « Non
Perrine, je peux pas rater 50 Degrés Nord, on y parle de la pièce de l’ex de la sœur de mon prof de tennis…. »
- « Tu sais qu’aujourd’hui on peut encore enregistrer des émissions à la télé ? Tu peux même les voir sur
internet. Et puis c’est pas comme si 50 Degrés Nord ça passait pas 23 fois par nuit » -
« Non Perrine, tu comprends pas, enfin non, tu comprendrais pas. – « ? ? ».
Mais les pires excuses sont encore celles qui sont sincères. Celles qui
émanent de personnes courageuses qui ne se cachent pas lâchement derrière les
membres de leur famille pour ne pas avoir à avouer leur absolu flantisme de
trentenaire. Je reformulerais même : les pires refus sont encore ceux émis
par ceux qui n’ont pas d’excuse, à part celle d’être mou du genou. Mais ça a le
mérite d’être honnête, et assumé. « Ah
non hein, moi, le vendredi, j’suis naze, un bain, une bouillotte et au lit.
Mais on peut se faire une raclette samedi si tu veux. » – « Oh yeah,
j’amène le Riesling et la tarte au
flan. » Même Monsieur Hulot me laisse tomber : « Perrine, tu vis trop dans le passé,
espèce d’enfulte malsaine. » Tant pis, j’irai à la soirée Nineties…. Avec
la babysit. Et tant pis si elle était pas née à cette époque.
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