C’est Perrine Pan. Oui, encore moi.
Je sais, ça fait 31 ans que vous vous farcissez mes missives, 31 ans que vous
les refilez à Père Fouettard et à sa team de RP pour qu’ils me répondent de
leur plus belle plume d’autruche une réponse un tant soit peu personnalisée
parce que vous, vous avez assez à faire avec la gestion de votre entreprise de
divertissement. Mais que voulez-vous ? En tant que Saint-Patron de tous
les n’enfants, vous êtes et serez toujours mon maître à penser, à moi,
l’archétype même de l’« enfulte » - pardonnez-moi au passage cette
expression douteuse que j’exècre mais qui me résume si bien. Chaque année, vous
remportez sans surprise le titre de « Person of the Year » de mon petit classement personnel, où je
suis certes le seul juré. Et sans vouloir heurter le saint homme d’Eglise que
vous êtes, à côté de vous, Johnny Depp et Julien Doré n’ont plus rien à foutre
dans mon top des « Hommes que si ils étaient dans mon lit, je
dormirais pas dans la baignoire. » Ben oui, j’ai vu quelques vitraux de vous
jeune, et je ne peux que constater que vous portiez (déjà) la barbe à
merveille, faisant ressortir l’éclat azur de vos yeux, du temps où vous n’aviez
pas encore délocalisé votre activité sur les hauteurs. Pour peu que vous osiez
voler sur les platebandes de Santa Claus, en exportant votre image
Outre-Atlantique, je suis sûre que vous arriveriez à faire de la crosse un must
have, et de la cape l’accessoire swag de la collection automne hiver du Men’s
Vogue. Non, je n’ai jamais cessé de
croire en vous, malgré le délit d’initiés de certains de mes camarades de
classe, malgré l’aveu fait ensuite de la bouche même de mes parents. Années
après années, décennies après décennies, se sont succédé devant l’âtre mes
souliers Aster, Hush Puppies, Kickers, Dockside, Airwalk, Converse, Dr
Martens, Chipie, Bensimon, Adidas et Isabel Marant. Bref, 31 ans d’une absolue dévotion à votre culte, d’une groupie
attitude sans faille. Sauf que.
Sauf que maintenant, je suis maman.
Et donc, dans vos petits papiers. Et j’avoue que ça me met un peu dans mes
petits souliers, moi, d’être dans vos petits papiers. Rassurez-vous, il n’est
pas question ici de vous blâmer. Comme il ne me viendrait pas à l’idée de
blâmer Dieu pour les atrocités commises en son nom. Non. Je sais que vous
faites de votre mieux, et qu’avec la population mondiale qui ne cesse de
croître – et ce même si votre activité ne s’étend que sur le territoire du
Bénélux - , vous avez été obligé de renoncer à la facture entièrement artisanale
de vos joujoux. Victime de votre succès, vous avez du faire appel à des
collaborateurs qui ont pour nom Fisher-Price, Playskool, Disney, Lansay et autres Bandaï. Les pages roses de nos quotidiens ont même parlé à une époque d’une O.P.A
qui aurait été faite par Mattel sur la
petite entreprise « Niklaas & Fouettards ». Mais vous n’y pouvez rien, vous. En ces
temps de crise, si vous voulez continuer à combler de bonheur vos petits
moutons, il vous faut vous aussi suivre le troupeau de la mondialisation. Et
puis vous n’avez plus 1020 ans, quand même. Vous êtes toujours dans le Conseil
d’Administration, mais n’exercez plus vraiment, je me trompe ? On dit que
c’est votre âne qui aurait repris les
rennes de la boîte. Mais attention, Saint-Nicolas, car je ne pense pas que le
nouveau boss aux dents longues soit têtu au point de boucher ses grandes
oreilles quand viennent y siffler les sirènes du merchandising. Bon, je vous
vois déjà en train d’ajuster vos lunettes en demi-lunes et de souffler à
l’oreille de votre associé à béret : « Je ne comprends pas un
traître mot de ce que me raconte cette jeune dinde ….. » Aussi je vais parler concrètement.
Lundi passé, soit quelques heures
avant votre passage dans les foyers, j’avais pris congé afin d’aller me fournir
chez vos collaborateurs pour offrir à mes filles un 6 décembre digne de ce nom.
Comme les heures et les sous sont comptés dans la vie d’une mère de famille
limite « Mompreneur » comme
moi, je me suis dit que j’allais tout miser sur une grande enseigne au logo
jaune et bleu. Vu la taille du commerce, je ne devrais avoir aucun mal à
trouver le meilleur rapport qualité-prix en matière de jouets, moi qui suis loin
d’être la mère 100% BioBobo qui ne jurerait que par les jouets en bois transporté
en paquebot depuis des forêts écologiquement propres, avant d’être enduit de
cire d’abeille made in Thorembais-les-Béguines. Naïve que j’étais !! Ca a commencé par une sensation
d’écoeurement, à peine le portique d’entrée franchi. Et là je ne vous parle même
pas des sapins de Noël ornant prématurément les rayons, à semer la confusion la
plus totale chez les enfants de maternelle qui peinent déjà à différencier le
lundi du mardi sur le calendrier de leur classe. Non. Je fais plutôt allusion à
cet étalage de couleurs saturées accentuées par la matière plastique qui les
arborent. Et à ce clivage au sein de celles-ci. Fushia, mauve et rose Barbie pour les rayons
« fillette » ; bleu, kaki et rouge pour les rayons
« garçon », histoire d’être sûr de ne pas se tromper et d’offrir malencontreusement
une montre Ben10 à la petite dernière, au risque d’en faire
une future gwin à mèche. Oui, aujourd’hui, force m’est de constater que les
jouets ont un sexe. Mais ce n’est pas encore là le nœud du problème. Ce qui me
pose réellement question, c’est plutôt
le concept d’estampillage, voire, pour employer un terme plus adéquat, de
merchandising. En effet, plus moyen de retrouver un jouet figurant sur la liste
de ma jeune Padawan qui ne soit griffé Disney (Cars et autres Disney
Princesses), Barbie ou Dora l’usurpatrice (1500 produits dérivés il y a déjà quelques années, je ne
sais pas où elle en est aujourd’hui). Pas moyen de trouver un Memory ou un jeu de dominos qui ne soient
complètement neutres. Ravensburger aurait
lui aussi vendu son âme d’enfant aux pontes de la grande consommation. C’est là
que j’entends déjà certains lecteurs me demander où est le mal, les studios Disney
véhiculant après tout des valeurs judéochrétiennes
des plus louables. Bon, on ne va pas revenir sur le passé trouble du vieux
Walt, au risque, pour certains, de briser un mythe. Ni sur l’hypersexualisation et les
mutations improbables des héros de Perrault et Grimm que j’ai pu
constater en tombant sur une Barbie-Blanche-Neige en décolleté improbable et mini-jupe ras
des l’touff tout ce qu’il a de plus médiéval, au risque de passer pour une
vieille ringarde. Par contre, loin de moi la volonté de faire de la
récupération, mais ce qu’on peut plus légitimement dénoncer, ce sont par
exemple les conditions de travail des ouvriers chinois qui fabriquent les
jouets du groupe Mattel, auquel appartient Disney (voir :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=riIisBDVU_E). Bon, bon, je sais,
c’est comme ça partout et c’est comme ça pour tout. Les fringues, les meubles,
les ordis. Si on veut consommer éthique, on doit être plein aux as. Mais bon,
ça se doit quand même d’être dit, non ? Enfin, dernier chef d’accusation à
l’encontre de ces marques : la manipulation des prescripteurs d’achat que
sont nos chères petites têtes blondes. Un dessin animé fait un carton ?
Hop, on en dérive quelques produits, on en fait la pub massivement sur la
chaîne où passe le dessin animé afin que l’enfant identifie bien le packaging
et le retrouve aisément dans son catalogue Dreamland (heureusement qu’il ne sait pas lire, ce serait beaucoup trop easy
pour lui de découvrir le pot-aux-roses) et dans le magasin (si le parent a le
malheur de faire les courses avec son rejeton….). Là non plus, je ne vous
apprends rien, mon bon Saint, mais moi, quand ma fille découvre le jouet tant
désiré parmi vos présents et qu’elle se met à en entonner la ritournelle de la
pub télé, en la ponctuant du slogan de la marque, ça me fait un peu mal à mon
esprit critique. Oh, j’en aurais encore des reproches à adresser à vos collaborateurs,
Saint-Nicolas, comme l’insécurité des jouets, constitués d’un nombre
incalculable de produits chimiques à rendre stérile l’ouvrière qui les
fabrique, et qui n’aura donc pas à se poser la question de savoir comment
offrir des jouets à son propre enfant, avec les 0,8% de leur prix de vente
alloués à son salaire. Quant à savoir ce qui se passera dans la bouche de la
petite Lilou lorsqu’elle les lapera, de qui est-ce vraiment le problème, finalement ?
A part le sien et celui de ses parents ? Et puis fourt’, ceux-ci n’ont
qu’à se fournir uniquement aux Idées Bleues ou chez Woodtoys, et tant
pis si ça les fout sur la paille, et qu’ils seront obligés de terminer le mois
en bouffant le collier de pâtes reçu à la dernière fête des mères. Mais encore
une fois, je ne voudrais pas faire de la récupération.
Et puis je sais ce que vous allez
me répondre, mon bon Saint-Nicolas : « Mais Perrine, à ton époque, c’était toudi l’même.
Souviens-toi quand je t’ai offert la peluche Bébé Schtroumpf, à la sortie de l’album éponyme, ou celle du Marsupilami, alors que tu raffolais de
ses aventures en Palombie. Et tes Popples,
et tes Bisounours, tu les croyais sortis de la cuisse de Père Fouettard ? » Oui, c’est vrai, vous n’avez pas tort. Peut-être que je suis trop
psychorigide. Mais voilà, je voulais juste souligner ça avec les marqueurs
Raiponce 100% washable de la petite Oompa Loompa.
Malgré tout, je vous souhaite une
bonne tournée, Saint-Nicolas. Vous n’avez pas baissé d’un cran dans mon estime.
Je vous laisserai la nuit du 6 décembre une carotte Bio et un verre d’Orval
pour la route. Merci de ne pas emporter ma paire de Nike (ben oui, faites ce que je dis, pas c’que je
fais…..).
Vous souhaitant bonne réception de
la présente ainsi qu'une excellente Fête de vous-même, je vous salue bien
cordialement.
Amitiés à Père Fouettard et à
l’Ane.
Perrine Pan.
Envoyé de l’IPad Kid’ de la jeune Padawan. (J’espère
que vous avez du réseau là-haut.) »
Autres Liens :
Enquête sur les fabricants de jouets et leur (non) éthique, et pétition :
Jouets bruyants : http://www.rtbf.be/tv/revoir/detail_on-n-est-pas-des-pigeons?catchupId=12-TIJIR001-204-PR-1&serieId=12-TIJIR001-000-PR
Faut-il interdire la publicité aux enfants ? (Questions à la Une) :
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