lundi 9 janvier 2012

Episode VII: La réunion de parents

Je le savais depuis 3 semaines. J’avais signé le mot dans le cahier de correspondance, je l’avais photocopié, je l’avais placardé sur mon frigo à l’aide de quatre magnets (le A, le G, le H en plastique et un magnet John Lennon), je l’avais noté dans mon agenda papier, dans mon agenda Google du boulot, dans mon agenda Google de famille, dans ma to do list, sur le mémo de la cuisine, sur un post-it et sur ma main. Non pas que je sois distraite, mais mon cerveau aime faire du tri sélectif avec parfois un certain excès de zèle.

Mais le chat a joué avec le magnet A, qui s’est fait la malle, ce qui a fait flancher le reste de la team. Le G, le H et John Lennon ont fini à terre et avec eux la photocopie A5, ramassée et rangée sur-le-champ dans le bac de feuilles de brouillon par mon mari, écolo extrémiste recyclant plus vite que son ombre. L’agenda papier a été oublié à la réunion dominicale chez la belle-famille, ma fille a dessiné un kangourou sur le mémo, le chat s’est étouffé avec le post-it qui avait été préalablement réduit en boulette par mon autre fille. Le jour de la réunion de parents - objet qui figurait sur tous ces supports, vous l’aurez deviné - il y a eu une panne de réseau au boulot et le mot sur ma main s’était effacé depuis belle lurette, car en fait, j’ai une drôle de manie qui consiste à me laver chaque matin. Résultat, en rentrant chez moi hier soir, après une heure de trajet en bagnole qui avait eu raison de ce qu’il me restait de féminité, et une fois la marmaille ramenée au QG, j’avais complètement zappé la petite sauterie du soir. En prenant note de l’adresse du bar où mon amie Madeleine de Proust, débaucheuse notoire, me sommait d’aller boire un verre dans une heure, une vision d’horreur s’offrit à moi alors que je retournais la feuille par manque de place et que je lus : « Lundi 12 décembre, réunion de parents dans la classe de Madame Lucette à 20h. » « What the f**** !!! » m’écriais-je alors devant ma jeune Padawan et la petite Oompa Loompa (Heureusement, il ne devait pas exister d'épisode de Dora l'Exploratrice intitulé "Dora souffre du Syndrome de Gilles de la Tourette".) 

Je jumpe alors au premier étage pour enfiler mon déguisement de mère de famille et troquer mes baskets contre des talons de minimum 5 cm de haut, mon hoodie contre un gilet en cachemire offert par ma belle-sœur à Noël, et mon écharpe à grosses mailles contre un pachmina tout ce qu’il y a de plus womanly.  Je dégringole les escaliers en me demandant quand nom d’un chien mon mari allait franchir la porte d’entrée et se confondre en excuses pour me libérer, avant de tomber nez-à-nez avec le kangourou dessiné par ma fille sur le mémo de la cuisine, qui s’accompagnait désormais d’un phylactère disant : « N’oublie pas que j’ai une réunion pour le boulot ce soir. Biz & Love. Monsieur Hulot.»

Un quart d’heure plus tard, je débarque avec perte et fracas dans la classe de Madame Lucette, une fille à bout de bras, l’autre dans une poussette, un biberon greffé à la bouche (ma fille, pas moi). L’assemblée des jeunes parents me dévisage. Si elle aussi pouvait être accompagnée de phylactères, ceux-ci prendraient la forme d’un nuage et diraient pour certains : « Quelle mère indigne de venir si tard avec ses gosses!!» , pour d’autres « Quelle mère indigne d’envoyer la babysit à sa place!!», ou encore «  Quelle coiffure de merde!! » ou enfin « J’ai déjà vu cette montre quelque part… Ah oui, sur ma fille de 12 ans!!» La réunion se passe, les photos des activités réalisées en classe par les enfants circulent de main en main, suscitant à chaque fois exaltation et petits cris de chaque mère de famille, comme si c’était la première fois qu’elle voyait des enfants faire de la peinture.  De mon côté, je préfère garder l’oeil sur mes filles, qui semblent s’être lancées dans un concours d'imitation de cri de goret, et comme défi de décoller de leurs panneaux un max de photos des camarades de classe de la jeune Padawan.

La réunion se termine, et alors que je tente le délit de fuite pour ne pas avoir à expliquer à Madame Lucette pourquoi le contenu des coussins de la salle de lecture se trouve désormais dans la caisse à cartables et pourquoi le petit Mateo n’a plus de tête sur la photo de classe, Barbara, une fille qui était avec moi au Collège et qui semble quant à elle avoir totalement réussi sa mutation - déguisement impec’, du pantalon fuseau au brushing  - me saute dessus à grand renfort de cris de harpie, comme si on ne s’était plus vues depuis le cours d’EDM alors qu’on s’était encore croisées à la garderie tout à l’heure. « Perriiiinnneeee !!!! RRho tes filles sont adorap’ dis !! Il faut absolument qu’on s’fasse une bouffe. Tu sais que je fais partie de l’AP maintenant hein ? En fait, j’aurais deux, trois trucs à te demander. »  Je ne sais à laquelle de ces informations je dois répondre en premier, mais Madame Lucette me sauve la mise – enfin, c’est ce que je pense alors - : « Madame Pan ? Vous auriez encore le temps 5 minutes pour que l’on discute un peu ? »

Une fois que la classe s’est vidée, Madame Lucette me fait asseoir sur une chaise à échelle d’enfant de maternelle, ce qui n’aurait pas posé de souci si elle ne s’était pour sa part assise sur une chaise normale. En contre-plongée, elle me dévisage d’un air grave et me lance : « Madame Pan, il y a un problème avec votre fille. » Aïe, je pensais ne pas avoir à entendre cette phrase avant son adolescence. Les idées les plus folles me viennent en tête : A-t-elle menacé un prof avec un poinçon ?  A-t-elle racketé la petite Violette pour lui voler ses biscuits Hello Kitty ? A-t-elle déversé mon flacon de Fleurs de Bach dans la soupe de la cantine ? Mince, ça y est, elle a repéré que ma fille venait de vandaliser le bricolage de Noël de la petite Aliénor, sur lequel, désormais, on pouvait lire en lettres de mousse : « JOYEUX NOEL & BONNE ANNEE, VOTRE ALIEN QUI VOUS AIME. » « Madame Pan, reprend-t-elle, ça ne va pas du tout. Votre fille, elle ne sait pas…. découper. » « Pardon ? Elle ne sait pas quoi ? », balbutiai-je, tant j’étais interloquée, presque déçue, par la non-gravité des faits.  « A 4 ans, elle est encore loin de maîtriser le découpage. Le poinçon, c’était déjà limite, mais là, j’aurais envie de vous conseiller d’aller voir un spécialiste. Je ne sais pas, parlez-en à votre mari. » Lui promettant de tout faire pour trouver l'enfant illégitime de Françoise Dolto et d'Edward aux Mains d'Argent afin d’aider ma fille à passer ce cap difficile, je la quitte amusée. Je n’en pense pas un mot, évidemment. 

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