lundi 2 janvier 2012

Episode III: La réunion Tupperware

En cette période de fin d’année, reboostée par les quelques jours de congé qu’elle a le droit de prendre avant la fin de l’année, la femme moderne se détend. Elle prend tout d’un coup le temps de penser à elle, à ses passions, à ses rêves les plus fous qu’elle va avoir enfin – peut-être – le temps de réaliser durant ces 10 jours. Alors, elle se dit : pourquoi ne pas organiser une bonne soirée Tupperware ? C’est vrai quoi, quoi de plus excitant, de plus funky, de plus rock’n’roll qu’une exhibition de boîtes polyèdres en plastique, cubiques, cylindriques, voire - soyons fous – figuratives (pour les grandes occasions du calendrier) ? Je me suis parfois demandé si cette entreprise de boîtes fraîcheur ne servait pas de couverture à une secte dont les gourous parcourraient écoles et jardins d’enfants, à la recherche de femmes qu’ils convertiraient au culte du polyéthylène par une séance d’hypnose, et qu’ils relâcheraient ensuite dans la nature. Les femmes mordues par le virus Tupperware déambuleraient alors dans les rues,  le regard hagard, à la recherche de nouvelles victimes à contaminer. En bonne militante anti port de spatule que je suis, cette question me titillait, c’est pourquoi je n’ai pas manqué de jumper sur l’occasion d’aller vérifier cette théorie de mes propres yeux, lorsque, hier après-midi, la maman de la petite Clara me conviait à une réunion d’un de ces clubs très privés des adeptes de la conservation. Ma première invitation à une réunion Tupperware, je n’en revenais pas !! J’avais bien quelques appréhensions, il faudrait sans doute que je me protège, que je revête une combinaison anti-bisphénol au cas où la marque mentirait sur ses principes environnementaux, que je me munisse de mes lunettes anti-hypnose, mais c’était bien le sentiment d’excitation qui dominait ma pensée, alors que je parcourais des yeux la petite photocopie A5 qui m’avait été remise en main propre. A l’ère du mail et de Facebook, ça s’applaudit, je dis !!


La première réunion Tupperware, un événement marquant dans la vie d’une femme donc, peut-être plus encore que l’achat du premier sous-tif ou le perçage d'oreilles. Je voulais que tout soit parfait. Et surtout ne pas trahir mon statut de non-initiée. Après avoir relu « La grande encyclopédie de la conservation alimentaire, de la boîte de conserve à la boîte à tartine »,  je sonnais à la porte d’entrée de Virginie, notre déléguée-gourou de la soirée, plus prête que jamais à entamer ce voyage initiatique vers le jardin des délices sous vide.  


Ouverture de porte et grand sourire de Virginie. Après un coup d’œil furtif à ses pupilles pour en  vérifier l’état de dilatation (tout a l’air ok), je m’engage vers la salle de cérémonie. Assises en cercle sur des chaises Tobias de chez Ikéa, six femmes semblent boire les paroles de la Maîtresse Es Tupperware invitée spécialement pour l’occasion, qui se distingue des autres par le fait qu’elle seule semble avoir  droit à un coussin, et qui fait qu’elle dépasse de quelques centimètres le reste de l’assemblée. A virer de ma liste de croyances sur les réunions Tupperware donc : ce n’est pas la copine qui t’invite qui opère le rituel initiatique. Contrairement à ce que j’imaginais, notre hôtesse n’a pas suivi de formation, n’a pas assisté à des conférences. Elle n’a pas de diplôme ni de certificat qui attesterait de ses compétences en matière de conservation sous vide. Non, elle se contente d’inviter une professionnelle. Soudainement décomplexée par rapport à la maman de Clara qui m’a toujours un poil énervée (déléguée des parents de la classe, déléguée des parents délégués, présidente de l’Association de Parents, mais cadre dans une grosse boîte d’autre part), je me dis que cette petite réunion doit certainement posséder quelques vertus thérapeutiques. Aïe, méfiance, serais-je déjà en train de me faire manipuler, le paillasson à peine franchi ? 

Virginie m’invite à les rejoindre, me présente à ces femmes qui semblent toutes se connaître depuis la crèche. Grand sentiment de solitude et envie de découvrir dans un coin de cette immense cuisine, la machine à se téléporter de Seth Brundle (v. La Mouche, David Cronenberg, 1986), et qui me renverrait à la seconde dans mon canapé pour suivre le dénouement de Desperate Housewives. Bribes de conversation à l’heure de la dégustation des premiers amuse-bouches concoctés par notre hôtesse (gggrrr, c’était trop beau !!) à l’aide des petits moules de la page 46 du catalogue: «  Oh dis c’est top –Et ça, à quoi ça sert ? – MMMMmmmm et ça c’est juste à se rouler par terre – 30 Euros – Tiens et ton mec il est où ? – C’est une recette de  La cuisine à 4 mains – C’est un peu trop salé  - quoi, 30 Euros ? – Au dressage avec le chien – Normal y a des lardons – Oui, mais on paye la qualité – C’est garanti –in-jau-nis-sable !! - Et Bérengère elle vient pas ? – Oh ça je peux pas manger j’allaite toujours - P52 c’est quoi cette sphère un peu cônique ? – Y a Béren qui demande si c’est près de L’avenue Rogier– Oh génial ils ont les mêmes dans Master Chef ! ». Heureusement, le vin blanc que le papa de Clara avait sorti de sa cave pour l’occasion commençait à me monter à la tête, mes jambes devenaient peu à peu cotons-tiges et mon esprit commençait à s’évaporer. J’évoluais désormais dans un monde parallèle, au paradis des amuse-bouches, où je sautais de petit cake moelleux en petit cake moelleux. Les voix de mes convives étaient désormais lointaines, pas plus dérangeantes qu’un léger acouphène un lendemain de concert. Un appel strident et je tombe de mon nuage en forme de soufflé au fromage. « Perrine, tu commandes quelque chose ? PERRINE !! » Manquant de choir réellement de ma chaise, j’esquisse un sourire gêné. « Oui, euh, oui, ben, je vais prendre ce shaker à vinaigrette. On peut faire des cocktails avec ? » Vu le regard outré des autres filles, je me demande si je n’ai pas atterri par erreur à une réunion des Alcooliques Anonymes. Main de la maman de Clara qui se dépose sur mon bras. « Bon choix, tu verras c’est super pratique, genre quand t’apportes une salade à un barbec. »

Une fois la chaleur rassurante de ma couette retrouvée, je dresse le bilan de cette soirée : pas besoin d’une soirée « Upper » ou d’oestrogènes pour booster sa féminité. Ce soir, je me sens réellement un peu plus femme. Et plus légère de 20 Euros. Bon, c’est chérot, mais pas assez pour qualifier ces réunions de sectaires. Et il me tarde tant d’inviter la maman de Clara à venir déguster une salade - seul plat que je maîtrise - concoctée à l’aide de ce superbe shaker....Ou pas. 

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