samedi 7 janvier 2012

Episode V: Docteur Doogie


Le problème, quand on vieillit, c’est que les autres autour de vous vieillissent aussi. Détrompez-vous,  ceci n’est pas du Jean-Claude Van Damme interviewé au saut du lit (ou qui serait devenu l’égérie d’une crème anti-âge), mais bien une réflexion que je peux me faire au quotidien, dès que je m’installe devant les JTs de nos chaînes nationales, que je tourne les pages du Soir ou que je surfe sur IGoogle, et que j’ai la crispation de voir apparaître tantôt le sourire immaculé, tantôt la signature en toutes lettres d’un ou d’une jeune prépubère diplômé(e) de l’école de journalisme où j’ai fait mes classes. Hier encore, j’ai recraché mon morceau de hachis parmentier non pas parce qu’il était calciné (ce qui constitue la norme), mais bien parce que je venais de voir apparaître en 16/9 la tronche d’un ancien petit gars qui était deux ans en-dessous de moi aux cours, geek en apparence, dyslexique en réalité (et qui pratiquait assidument un drôle de hobby qui consistait à marcher sur des boîtes de conserve, mais ceci est une autre histoire), et que ce petit gars pour qui on aurait tout spécialement organisé un gala de charité afin de rassembler des fonds pour lui acheter un début de sex appeal, ce petit gars-là était en train de commenter in situ le dernier rebondissement de l’épisode « Di Rupo essaie de garder son gouvernement », avec autant d’assurance que le ferait un reporter de CNN et avec une classe qui ferait passer Sean Connery pour un plouc qui sent la barbe et le dormi. En fait, plus le temps passe, plus jeunes sont les visages de ceux qui constituent le paysage médiatique belge, et plus je regrette d’avoir tant cherché ma voie, et me dis qu’il serait temps que j’arrête les piges et me trouve un « vrai » boulot. Tâche que je m’empresse aussitôt de remettre au lendemain, ou d’inscrire sur une to do list, to do list qui sera abandonnée quelques jours plus tard dans un caddie du Colruyt (voire du Delhaize, cfr. Episode 4), après que je l’aie confondue avec ma liste de courses.

Mais cette réflexion philosophico-démographico-sociologique, je ne me la fais pas qu’aux heures de prime time. Il me suffit de me rendre chez le médecin, chez le kiné, de faire appel à un architecte ou à un notaire pour me rappeler que les années ont passé, que les gens à qui je confie mes enfants, mes biens les plus précieux ou encore mes secrets les plus gênants sont à présent des personnes de mon âge, qui mettent peut-être des pantoufles Droopy le week-end, qui conduisent peut-être bourrés, ou – qui sait ? - font partie du groupe « Si toi aussi tu allumes l’ordi avec ton pied » sur Facebook. Comment ne pas flipper un brin quand, sur la table d’opération, il te revient en mémoire que le chirurgien ophtalmologiste qui va te charcuter et que tu étais sûre de connaître de quelque part était avec toi au cours de science donné par ce prof archi nul ? Ou pire, que la sage-femme qui est de garde la nuit de ton accouchement est une vieille connaissance, à qui tu es alors obligée de faire des mondanités dans la tenue très distinguée qui est celle des femmes qui s’apprêtent à mettre un enfant au monde ?

Dernière aventure en date, ma rencontre avec le Docteur Doogie. En grande névrosée que je suis, je m’étais enfin décidée à écouter mon entourage qui me conseillait depuis des années d’aller consulter un thérapeute (rien que ça, d’ailleurs, pourrait justifier une telle décision, me direz-vous). Très réticente au début, j’avais fini par accepter de suivre leurs conseils, après avoir constaté qu’il était désormais hyper tendance d’aller voir un psy (« J’en parlais encore l’autre jour à mon psy » « Ah non, pas possible de t’accompagner à la zumba, c’est l’heure où je vois mon psy », sont en effet des discours que j’entends de plus en plus fréquemment autour de moi), que ça avait un côté new-yorkais branché et woody-allenesque qui ne me déplaisait pas. Après m’être présentée au secrétariat de la Clinique de l’Anxiété (a-t-on idée de donner pareil nom à un service médical? Pourquoi pas la Clinique de l’Angoisse ou de la Forêt Noire, tant qu’on y est ?), je patientais dans la salle d’attente. Alors que j’étais en train de dresser mentalement le portrait robot de mon psy idéal, en espérant que la réalité rejoigne ces stéréotypes issus de l’inconscient et de l’imagerie collectifs (homme à la carrure de grizzli, barbe grise et cheveux à la Albert Einstein, veste de Tweed et pantalon en velours, pipe à la main, homme surtout vieux, trèèèèss vieux, d’une infinie sagesse, bref, quelqu’un à mille lieues de ce que je suis), un adolescent fait irruption dans la pièce, tellement frêle qu’au début je ne le remarque pas. Je vois qu’il parcourt du regard l’assemblée des lecteurs du Femme Actuelle qui peuple la salle d’attente, j’ai envie de lui demander si je peux l’aider, en lui indiquant par exemple la direction du service de dermatologie pour qu’il aille soigner cette vilaine peau, et c’est là qu’il lâche, avec la fermeté d’un aboyeur de soirée mondaine: « Madame Pan ? ». A ce moment-là, c’est toute ma liste de contacts Facebook puis tout mon passé qui défilent sous mes yeux. Merde, je le connais, j’en suis sûre !! On a surement fait la fête ensemble. RRhhoooo non, un ex, c’est surement un ex !! Non, il est trop jeune, pas possible. Un louveteau !! Oui, ça doit être un louveteau, à moins que ça ne soit un enfant que j’ai baby-sitté? Alors que j’arrive à la fin de la recherche (avec néanmoins beaucoup moins de joie de vivre et de panache que le petit chien à qui incombe cette tâche sur Windows) qui se solde par un « 0 résultat », je n’ai d’autre choix que de le suivre, sueur froide dégoulinant le long de mes tempes, rougeur extrême au visage, et festival d’extrasystoles dans la poitrine. Une consultation psy qui commençait sous les meilleurs auspices. Non mais quoi, je n’allais quand même pas parler de ce cauchemar récurrent où j’ai mis un affreux kilt (mais ai omis d'enfiler une culotte) pour aller aux cours ou de mon complexe d’infériorité, à ce Docteur Doogie ? A ce psy de pacotille à  qui l’on a du faire miroiter un diplôme comme récompense si il arrêtait la tutte ? A ce blondinet en couche-culottes à qui j’ai envie de dire : « Ca va, hein, j’ai eu 17 sur 20 à mon exam de psycho à l’unif, le stade du miroir et le complexe d’Œdipe, je maîtrise, t’as rien à m’apprendre !!» Ah non, ça pas question !! J’ai donc fait demi-tour et suis rentrée chez moi. Je l’ai googlisé…. je ne le connaissais pas. 

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